Les Chaises au TNM | Un 7ième Ionesco pour Frédéric Dubois
Dernier sprint pour les répétitions de la pièce Les Chaises qui prend l’affiche le 8 mai au Théâtre du Nouveau Monde. La dernière fois que Frédéric Dubois a travaillé dans ce théâtre, c’était en 2013 pour la mise en scène de « Le roi se meurt » du même auteur. Cette fois-ci, pour son 7ième Ionesco, il dirige pour la première fois Monique Miller et Gilles Renaud, le tandem de personnages ahurissants qui ont pour nom la Vieille, 94 ans, et le Vieux, 95 ans, dans cette pièce dont on pourrait dire qu’elle les contient toutes.
Je suis épaté par l’entrée en salle, affirme Frédéric Dubois. Souvent, c’est difficile, même pour des acteurs d’expérience. Ils doivent rapidement s’accoutumer à plusieurs nouvelles données, comme aujourd’hui les éclairages, et beaucoup de choses qui restent encore à régler. Mais ça se passe très bien.
En général, les comédiens répètent entre 130 et 150 heures avant d’en arriver au premier lever de rideau. « Nous aurons eu au moins 150 heures, à quoi il faut ajouter tout le travail que les deux comédiens ont fait en italiennes. Depuis un an, ils se sont rencontrés toutes les semaines pour venir à bout du texte qui contient plusieurs niveaux de difficultés. Ils seront seuls en scène, sans aucun garde-fou. Monique est très scolaire, elle note tout, et elle aura travaillé un bon 500 heures de son côté depuis deux ans. »
Frédéric Dubois continue : « C’est un projet athlétique pour les deux comédiens. Ils sont magnifiques à voir et très touchants. J’ai travaillé en fonction de l’âge de Monique Miller, lentement et par étapes, au lieu de tout concentrer pendant les six semaines avant la première. On a longuement réfléchi avec les concepteurs, pour que la magie opère sans que tout repose sur les épaules des acteurs qui ont déjà une charge énorme. C’est magistral le travail qu’ils sont en train de faire. Mon stress n’est pas sur les acteurs. Ils sont vraiment magnifiques! »
Les deux personnages avancés en âge sont isolés sur une île métaphorique battue par les grands vents. Voyant venir la mort, le Vieux a convoqué de nombreux invités, même l’Empereur en personne. À mesure que la Vieille ajoute des chaises pour l’arrivée de tout ce beau monde, ils attendent que l’Orateur vienne enfin, avec plus d’éloquence que le Vieux, livrer son message à l’humanité. Tous attendent, comme pour Godot chez Beckett.
« Ils font plus que juste attendre Godot sans raison, selon Frédéric Dubois. Ici, la différence est dans ce message important à transmettre par l’Orateur sur la compréhension que le Vieux a de l’humanité, de la vie et des choses. Le couple est face à la mort parce qu’ils sont vieux, mais ce n’est pas ça le truc au départ. Ils sont davantage devant le constat d’une vie, avec le désir de laisser quelque chose après eux. La pièce, pour moi, porte sur les traces qu’on laisse après la mort, sur la transmission de soi au reste de l’humanité. »
Ionesco n’avait que 41 ans quand il a écrit Les Chaises en 1952. La pièce a aussitôt été cataloguée comme une farce tragique. « On n’est pas dans l’absurde comme dans La cantatrice chauve, reprend Frédéric Dubois, pas dans la déconstruction du langage, ni dans l’exercice de style. Ici, c’est comme un long poème insolite. Je ne trouve pas que la pièce soit irréelle, mais plutôt lyrique et onirique en même temps qu’ancrée dans le réel, avec une peur tellement concrète, une joie très concrète aussi, car ils sont heureux ensemble. Ils ont un passé, une charge de vie forte, ils se rappellent leur jeunesse, leur premier amour, lui ayant été maréchal des logis, elle lui reprochant de ne pas avoir été maréchal en chef, c’est hyper concret tout ça. »
Plusieurs ont dit que Les Chaises était la pièce la plus aboutie d’Ionesco. Frédéric Dubois est bien d’accord : « C’est sa pièce la plus finie, la plus achevée, elle contient toute l’œuvre, avec ses angoisses de vivre, ses peurs, ses questions existentielles. Sa foi aussi, parce que Ionesco était croyant. L’Empereur est représenté par une grande lumière blanche qui fait référence à une lumière qu’il aurait vue quand il avait 18 ans. Son rapport à Dieu est exprimé par des références poétiques; il parle du Roi Soleil, du créateur de toutes choses. Je trouve que la dimension spirituelle est là très fort dans la pièce. »
Frédéric Dubois a été directeur artistique du Théâtre du Périscope à Québec, la ville où il a consacré les 20 premières années de sa carrière. En 2016, il a tout quitté pour devenir directeur artistique de la section française de l’École nationale de théâtre à Montréal, de même que directeur du programme interprétation. Ionesco est lié de très près à son parcours, à commencer par sa compagnie Le Théâtre des Fonds de Tiroirs qui coproduit Les Chaises avec le TNM.
« Ce n’est pas pour rien si je monte une pièce de lui pour la 7ième fois. Ionesco est un auteur énorme. Au départ, j’étais très attaché à l’irrévérence de son style. Alors que maintenant, c’est surtout le sens poétique de toute son œuvre qui m’inspire. »
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