crédit photo: Kira Kynd
The Shadow Whose Prey the Hunter Becomes

Leçon sur l’intelligence artificielle par des personnes vivant avec une déficience intellectuelle: quand l’ironie fait rire jaune.

Dans sa 17e édition cette année, le Festival TransAmériques reprend son envol postpandémique avec une programmation foisonnante et au goût du jour.

On a invité la troupe australienne Back to Back Theatre, dont la pièce The Shadow Whose Prey The Hunter Becomes  a déjà été à l’affiche à New York et au Royaume-Uni, à venir charmer le public du FTA au théâtre Prospéro. La mission de cette troupe, fondée en 1987 dans le but de fournir un emploi aux personnes présentant un handicap, est de renouveler le discours sur divers sujets, dont la condition humaine, l’appropriation culturelle ou l’intimidation.

Dans The Shadow Whose Prey The Hunter Becomes, les trois personnages de l’histoire s’adressent au public comme à une assemblée venue en apprendre sur les revendications des personnes vivant avec un handicap. La mise en scène très épurée, une estrade pour faire un discours et quelques chaises, rend la chose plutôt réaliste.

Le ton est dans son ensemble très grinçant. En effet, le dialogue entre Sarah, présentant une déficience intellectuelle à la suite d’une blessure à la tête, et Scott, portant fièrement un chandail où il est inscrit « Autistic and proud », donne le ton dès les premières minutes. Scott explique de façon très méthodique et graphique à Sarah qu’il ne faut pas se toucher l’entre-jambe en public et qu’il est aussi interdit qu’une autre personne le fasse à autrui.

Le dialogue et les explications sont longs et exhaustifs vu la particularité d’élocution des personnages. Au bout du dialogue, on reflète la façon dont le président des États-Unis s’est comporté en public dans sa fameuse déclaration à l’égard des femmes « Grab ‘em by the pussy ».  L’évocation de cette anecdote donne le ton sur l’ironie avec laquelle une personne neurodivergente peut donner la leçon aux personnes neurotypiques.

Un trio jazz enregistré accompagne les dialogues des personnages. Plus qu’une simple musique de fond, on pourrait dire que celle-ci ponctue joliment l’action et souligne la tension dramatique.  Dans les autres procédés de la mise en scène, un grand écran noir surplombe les personnages en y inscrivant l’ensemble des dialogues. Il ne s’agit pas uniquement d’un simple surtitrage, car à un certain moment cet écran « prend vie », si on peut dire, sous la forme d’une Siri qui exprime même ses sentiments à l’égard de leur conversation à propos de l’intelligence artificielle, dont la puissance est à nos portes.

On mentionne à juste titre qu’à travers les années les personnes vivant avec un handicap ont été déshumanisées, stérilisées, abusées. On écorche au passage la compagnie Hasbro, fabriquant des jeux Monopoly et Quelques arpents de piège, pour ne nommer qu’eux, qui en Irlande en 1996 se serait servi des femmes présentant un handicap pour assembler des jeux dans leurs usines sans les rémunérer pour ce travail. Situations abusives parmi d’autres dénoncées dans une longue énumération avec le constat suivant : les gens ont tendance à être violents avec ceux qu’ils considèrent inférieurs.

L’abus de pouvoir des sociétés envers les personnes vivant avec un handicap est ensuite analysé avec l’angle du fait que si Deep Blue, machine hyperpuissante, a réussi à battre Kaparov, le meilleur joueur d’échecs du monde, il se peut bien que l’humain neurotypique se fasse éventuellement regarder de haut par les machines. On sera alors tous atteints d’un « handicap mental » à leurs yeux.

Constat frappant qui avait quelque chose d’émouvant. Malgré les sujets graves abordés, à noter que les dialogues sont savoureux et les interprètes excellents dans le ton. On rit beaucoup malgré tout, mais on rit jaune le plus souvent. La pièce est à l’affiche jusqu’au 29 mai inclusivement, donc n’hésitez pas à aller à la rencontre de cette troupe de théâtre au fait des inégalités sociales qui, tout en humour, présente des œuvres qui font réfléchir.

Le FTA bat son plein jusqu’au 8 juin inclusivement. Regroupant des artistes d’ici et d’ailleurs, le menu est vaste et il y en a pour tous les goûts. Dans le cadre de la portion gratuite du festival, notons Creation Destruction de Dana Gingras sur l’esplanade tranquille de la Place des Arts dans laquelle des danseurs s’exécutent et dialoguent avec douze musiciens sur la musique du groupe mythique montréalais Godspeed You! Black Emperor. Pour le volet théâtral, le Tableau Final de l’amour mise en scène par Angela Konrad avec Benoit McGinnis dans le rôle principal me semble un incontournable.

Pour rebondir sur le sujet de l’heure, à savoir l’intelligence artificielle, je recommande chaudement i/o de Dominique Leclerc si vous n’avez pas eu l’occasion de la voir dans cette sorte de théâtre-documentaire. L’exploration du transhumanisme et la réflexion sur les biotechnologies, tout en y mêlant un récit très personnel, en fait une œuvre complète et fascinante. Pour le volet danse, Bronx Gothic de la chorégraphe Okwui Okpokwasoli du Bronx New-Yorkais rassemble tous les thèmes incarnés dans le festival cette année, à savoir l’aspect antiraciste, décolonial et féministe.

Bref, si vous ne savez pas quoi faire de vos soirées d’ici le 8 juin et que vous souhaitez accueillir des manifestations artistiques qui incarnent les enjeux sociaux actuels, le FTA a certainement parmi ses 24 propositions quelque chose qui pourrait vous plaire dans sa programmation.

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