Le sang de Michi (de Franz Xaver Kroetz) au Théâtre Prospero | Sanglant!

L’auteur, dramaturge, acteur et réalisateur allemand, Franz Xaver Kroetz, n’a jamais donné dans la dentelle. Déjà en 1971, sa pièce Travail à domicile, créée à Munich dans la mise en scène de Horst Siede, a connu de sérieux démêlés avec des groupes d’extrême droite. La pièce, qui contient des scènes de masturbation, d’avortement et même d’infanticide, n’en a pas moins reçu les éloges du plus grand nombre, et cette décennie sera la plus fructueuse au théâtre pour celui qui a travaillé à deux reprises avec le grand Rainer Werner Fassbinder.

Apparenté aux pièces de réalisme critique d’auteurs contemporains comme d’Ödön von Horvath, le théâtre de Kroetz entend montrer l’inmontrable, soit le quotidien de personnages au vocabulaire restreint et enfermés dans un mutisme dont seule la violence permet d’en sortir, ne serait-ce qu’épisodiquement, car la violence ne mène nulle part, sinon à un isolement encore plus grand.

Le sang de Michi, qui remonte aussi au début des années 70, a été écrite directement en bavarois, dialecte parlé dans le sud de l’Allemagne par les plus petits de l’échelle sociale. La pièce est précédée, plutôt indistinctement, par un court texte dramatique, Négresse, qui ne fait pas défaut à la délinquance du sentiment amoureux, et surtout, à l’incommunicabilité entre ces personnages défavorisés, laissés pour compte, démunis sur le plan de l’intellect.

Au Théâtre Prospero, actuellement et jusqu’au 29 octobre, on assiste à une traduction à plusieurs mains – dont Jean-Luc Denis -, avec un texte correspondant à ce qu’on pourrait appeler du gros joual. Un langage qui « se tait », comme disait déjà l’auteur à l’époque, qualifiant même son style d’« antithéâtral ».

C’est Olivier Arteau de la compagnie Théâtre Kata, habituée du Fringe, qui après avoir adapté ce texte difficile, en signe également la mise en scène. La pièce, présentée dans la Salle intime du Prospero, devant un maximum de 46 spectateurs, en ressort avec une charge de violence encore plus grande. Les mots sont tranchés, durs et crus, les émotions refoulées, et l’action imprévisiblement agressante.

Photo par Pierre Castera.

Photo par Pierre Castera.

Le décor prend la forme d’un cubicule percé par une fenêtre et l’embrasure d’une large porte. Un couple, Marie et Karl, se parlent sans se comprendre, montent le ton entre deux éclats de rires tonitruants, comme si la peur de l’autre renvoyait immanquablement à la peur de soi. Une toilette avoisine un petit meuble sur lequel est disposé un four micro-ondes. La pauvreté est évidente partout, pas seulement celle des sentiments et du langage.

Puis, la fatalité se fait entendre. Marie est enceinte, et il n’y a pas de place pour un pauvre de plus sur cette Terre. Le texte est brutal, sans ménagements, comme ce « Pas venir au monde, c’est la meilleure affaire » lancé par Karl qui se sent à l’évidence « pas du bon bord de la vie ». Mais le travail de vidéaste de Marilyn Laflamme, avec des projections en gros plans sur ce cubicule transformé en écran, rend la suite (un avortement avec une fourchette), moins insupportable.

Les trois interprètes (incluant Négresse), soit Ariel Charest, Jean-Pierre Cloutier et Marc-Antoine Marceau, sont justes, chacun dans son rôle complexe, sans jamais paraître se complaire dans la violence sous-jacente. « À toué jours, y a du monde qui crèvent! », tirade lancée par un des comédiens, résume bien les intentions avouées de l’auteur de secouer son public.

Photo par Pierre Castera.

Photo par Pierre Castera.

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