L’Avare de Molière au Théâtre Denise-Pelletier | Une pièce généreuse
« La peste soit de l’avarice et des avaricieux! », lance dès le départ un valet du pingre Harpagon, personnage de bourgeois exécrable imaginé par Molière pour sa pièce L’Avare, actuellement à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier, dans la mise en scène du directeur artistique des lieux, Claude Poissant.
Arborant des pantalons aux larges rayures sombres tenus par des bretelles, c’est Jean-François Casabonne qui incarne le célèbre maître au plus près de ses écus. La pression est forte sur les épaules du comédien dont le personnage ici remonte à l’interprétation de Jean Gascon en 1951, L’Avare ayant été la toute première pièce présentée au TNM à sa fondation.
Il faudra attendre 30 ans avant que le rôle ne soit repris par Gaston Lepage au TDP, dans la mise en scène de Gaétan Labrèche. Puis, dans des productions subséquentes, Luc Durand aura été Harpagon deux fois : d’abord dans la mise en scène d’Olivier Reichenbach au TNM en 1984, puis dans sa propre mise en scène au TDP en 1995.
Le rôle, immense, paraît maintenant avoir été écrit pour Jean-François Casabonne, tellement le comédien sait y mettre ses couleurs en le rendant tyrannique, de fort mauvais poil avec son entourage qu’il prive de tout par souci d’économie, se montrant menaçant et violent même. On ne pense plus alors au rapprochement souvent fait avec le personnage de Shylock dans Le Marchand de Venise de Shakespeare. Son Harpagon, contrit par une toux chronique, voulant marier sa fille sans dot et son fils à une femme qui en est bien pourvue, domine complètement.
Seule Frosine, avec une Sylvie Drapeau qui elle aussi brûle les planches, réussit par la ruse à lui tenir tête. Dans son exubérante robe verte avec une large échancrure frontale conçue par Linda Brunelle, et ses lunettes fumées lui donnant l’aspect d’une riche héritière, la divine Drapeau brille de tous ses feux sur cette scène.
La distribution compte certains éléments plus faibles, mais la mise en scène énergique et inspirée de Claude Poissant en cache les défauts. On sent qu’il a eu autant de plaisir à monter Molière, son rêve de toujours, qu’une création de Larry Tremblay. Le metteur en scène, qui a commencé sa carrière avec des textes ambitieux pour jeune public à l’époque du Théâtre Petit à Petit, fait montre ici d’une belle maturité.
Pendant près de deux heures, les dix comédiens, dont se dégage aussi Jean-Philippe Perras en Valère, sont réduits au règne mesquin du seigneur Harpagon, lequel compte tout en écus, en pistoles, en deniers, en livres ou en francs, sans se soucier des histoires d’amour véritable de ses deux enfants.
Jean-Baptiste Poquelin, qui prendra le nom de Molière pour signer une trentaine de pièces de théâtre à partir de 1644, excelle dans la technique du double langage, du quiproquo donnant des échanges d’un pur ravissement entre deux personnages pensant que l’autre parle du même sujet que lui, alors qu’il en est tout autrement.
La double scénographie de Simon Guilbault est très réussie aussi. De simples portions d’un mur gris percé d’une porte à l’avant-scène, il occupera ensuite tout l’espace, en ajoutant une jetée de boites dorées évoquant la fameuse cassette de 10 000 écus que Harpagon, affligé de fluxion, a caché en l’enterrant dans le jardin, et qu’il soupçonnera tout un chacun d’avoir volé.
À deux reprises enfin, les comédiens s’adonneront à la danse avec des menuets nouveau genre, c’est-à-dire aux mouvements contemporains, ce qui ajoute au plaisir que procure dans son ensemble cet Avare où le père grincheux et avec grande autorité vouvoie ses enfants qui se vouvoient aussi entre eux. Le résultat donne une musique bien vivante traversant cette si belle langue d’un Molière/Poissant qui fera date.
- Artiste(s)
- L'Avare
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Denise-Pelletier
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