crédit photo: Julie Artacho
Milan Gervais

Lame de fond à l’Agora de la danse | Entrevue avec Milan Gervais : Laisser la parole au corps féminin

Avec Lame de fond, présenté du 12 au 15 février 2025 à l’Agora de la danse, la chorégraphe Milan Gervais effectue un retour à l’espace scénique après près de 15 ans d’absence. Ode au corps de la femme et à tout le bagage qu’il traîne à travers le quotidien, ce projet monté dans le cadre de la programmation hivernale de l’Agora de la danse s’inscrit plus que jamais dans l’actualité. Sors-tu? s’est entretenu avec la chorégraphe afin d’aborder les réflexions qui ont mené à la création de son œuvre.

« Le travail de recherche, c’était une hypothèse de dire : si on donne la parole au corps, si on fait taire un peu le mental, qu’est-ce qu’il y a à dire si on apporte ces questions. On a vu le corps au cours de l’histoire et on a essayé d’y accéder, de laisser parler. »

 

Guidée par ses réflexions

Le processus de création de Lame de fond s’est façonné autour de questionnements qui habitaient Milan Gervais à l’aube de la quarantaine. Ces réflexions tournaient particulièrement autour de son rapport à la féminité et de ses biais par rapport à sa vision du corps des femmes apportée par la société. « J’ai fait une introspection, puis je me suis rendue compte qu’il y a certaines choses que j’avais faites par le passé avec lesquelles je n’étais pas d’accord. Puis en réfléchissant bien, je me suis rendue compte que c’était aussi des comportements qui appartenaient à une construction sociale, comment on doit être femme », souligne Milan.

Ainsi, bien qu’elle soit arrivée en studio avec une idée des thématiques qu’elle souhaitait représenter dans son œuvre, elle désirait que la chorégraphie se crée autour de conversations et d’anecdotes vécues par les trois autres interprètes avec qui elle montait Lame de fond. C’est autour d’un questionnement en particulier que l’œuvre finale s’est bâtie petit à petit.

Il y avait une question de base : c’est quoi les corps qu’on porte, ceux dont on a hérités, ceux qu’on porte maintenant, et comment on veut se comporter aussi dans le futur. Et aussi, comment on a appris aux femmes à s’exprimer et à se taire.

Gervais explique que l’idée de laisser le corps des femmes s’exprimer se décline sous plusieurs thématiques : le corps social, le corps appris et le corps des clichés, ou du moins, comment le corps a appris à vivre au diapason des clichés de la féminité qu’on lui a imposés. « Le corps plus intime de nos histoires, nos récits, qui s’inscrivent dans nos trajectoires individuelles, mais aussi collectives. Le but est de différencier le corps dans sa physiologie, dans sa vie intime, mais des fois qui devient aussi un corps collectif, un corps social appris », explique-t-elle.

Un médium abstrait

Mais comment faire naître ces réflexions à travers la danse ? Milan Gervais confie qu’elle ne prétend pas pouvoir aller au fond de ce grand et vaste thème dans une œuvre d’une heure, et qu’elle ne peut qu’en effleurer des bribes. Force est de reconnaître que le médium de la danse contemporaine demeure abstrait et que le public a un travail d’interprétation à faire.

« Qu’on parle d’un corps de normes sociales, d’un corps de charme, ou d’un corps de récits personnels, on se demande comment, à travers le geste, le rythme, la danse et la composition chorégraphique, on peut en faire état », souligne la chorégraphe.

L’absence de l’espace scénique de Milan Gervais n’était pas une absence du monde de la danse pour autant. En effet, pendant près de dix ans, la chorégraphe s’est consacrée à participer et à créer des œuvres présentées dans l’espace public, dans des lieux qu’elle qualifie de « non dédiés. » Ainsi, le lieu de la performance devenait le moteur de création du projet. « C’est très différent de créer pour la scène qui est un lieu abstrait, vide » confie-t-elle. Pourtant, elle avait ce désir de revenir à la scène car elle demeure, selon elle, le lieu de prédilection pour faire naître l’art vivant.

Lame de fond est né d’une collaboration de Milan Gervais et de quatre autres collaboratrices à la création et interprètes : Jessica Serli, Marine Rixhon, Giverny Welsch et Sara Hanley. C’est le compositeur Antoine Berthiaume, qui a déjà travaillé avec la chorégraphe et dramaturge par le passé, qui se chargera de la musique. Excitée à l’idée de retravailler avec lui, elle soutient que « Antoine a une sensibilité vraiment développée pour le mouvement et la danse. Il arrive toujours avec des propositions qu’il vient de supporter. Il ajoute vraiment sa compréhension, sa vision dans les tensions que ça apporte, dans les tonalités. »

La rencontre avec le public

Difficile pour Gervais de prédire la réception du public face à Lame de fond. « Je pense que selon le vécu de chacun-e, je pense qu’il y a des choses qui sont, comment dire, des images qui sont données dans le spectacle », dit-elle. Elle soutient que les spectateurs ont un travail à faire de leur côté et « qu’il faut réfléchir ». Elle espère toutefois que la pièce gardera assez d’ouverture pour que chacun puisse se questionner sur ce questionnement de ce qu’est le corps, exactement.

Bien ancrée dans l’actualité du moment, l’œuvre Lame de fond incarne parfaitement le terme danse « contemporaine. » Ce sont des thématiques importantes et sensibles à travers lesquelles Milan Gervais a tenté de naviguer.

Le fait qu’aujourd’hui enfin ici dans notre société québécoise nord-américaine, on peut avoir accès à ces différentes vies-là alors qu’ailleurs c’est pas possible, ou pas complètement, c’est effrayant. C’est étonnant, mais on régresse sur ce point-là, sur la condition des femmes et c’est ça aussi qui me trouble.

Fébrile à l’idée de partager ces réflexions avec le public, elle souligne l’importance de la rencontre entre une œuvre et son public. « C’est sûr qu’on souhaite toujours que les œuvres qu’on crée soient vues et ressenties. » En souhaitant que le public soit au rendez-vous, l’esprit ouvert et prêt à écouter les messages importants portés par les corps des femmes et leurs mouvements.

D’ailleurs, il y aura un Midi-Coulisses le 5 février 2025, de 12 h 15 à 12 h 45, ainsi qu’une soirée « Paroles d’artistes » le 13 février 2025, après la représentation.

Détails et billets pour assister à Lame de fond juste ici.


* Cet article a été produit en collaboration avec L’Agora de la danse.

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