crédit photo: Vincent Morreale
L'âge du consentement

L’âge du consentement au Prospero : Un anachronisme percutant

L’âge du consentement, présentée au Théâtre Prospero, explore les déboires de la société et l’impact qu’ils ont sur les enfants. Tirée d’un évènement historique d’Angleterre des années 1990 où deux jeunes enfants ont kidnappé, torturé puis tué un enfant de deux ans, The Age of Consent de Peter Morris est traduite pour la première fois en français par Pierre Mandeville. Regard sur une mise ne scène par Philippe Gauthier d’une pièce ayant suscité la controverse et même l’appel au boycott lors de ses premières représentations en 2001, en Grande-Bretagne.

Alors que les spectateurs font leur entrée dans la salle, les deux comédiens sont déjà sur scène, dans leurs personnages: Stephanie faisant face au public et Tommy, dos à elle, caché derrières des panneaux en miroirs. La première, interprétée par Isabeau Blanche, assise sur un tabouret, est dans sa bulle: casque d’écoute sur les oreilles, elle écoute de la musique sur un Walkman. Elle est une fille-mère qui décide de transformer sa fille de 6 ans en enfant-actrice.

Alors que le récit avance, elle raconte la progression, ou la régression plutôt, de sa fille à travers sa carrière précoce. Sans jamais voir l’enfant, nommée Rachel, on imagine la lumière dans ses yeux s’éteindre petit à petit. On devine, à travers les branches, que la mère confie sa fille à un pédophile, un homme à qui elle fait confiance suite à une promesse de luxe vulgaire et de confort.

La perversion que crée le rêve hollywoodien est abordé à travers ce personnage. Face à l’ignorance et la naïveté plutôt que la cruauté de cette mère, les spectateurs sont invités à ressentir pour elle de la pitié et de l’empathie.

Le monologue de Stephanie nous est présenté en parallèle à celui de Tommy, joué par Dominik Dagenais: les deux personnages s’adressent directement au public. Tommy est un jeune homme de 19 ans qui sortira bientôt d’un centre de détention. Il y est depuis ses 10 ans, depuis qu’il a kidnappé et tué un enfant plus jeune que lui.

Il expose subtilement des déboires de son enfance, son manque d’éducation et l’isolement vécu au centre de détention. Pourtant, depuis qu’il y est, il a commencé à lire, il a reçu une éducation: il est devenu intelligent, assure-t-il. À travers ses yeux, on voit le regret des gestes qu’il a posés, mais surtout la terreur qui l’habite à l’idée de retrouver sa liberté: tout le pays sait qui il est et ce qu’il a fait. Ce que tous veulent savoir maintenant, c’est le pourquoi du comment.

Flèches directes pointées vers l’explosion perverse de la popularité des tabloïdes dans les années 90 s’alternent avec celles pointées vers la culture du show-business. Le tout sur un fond de regard cynique, mais emphatique sur la maltraitance infantile. Les deux personnages mis en scène permettent d’apprendre à connaître une victime de ses parents, ainsi qu’une mère qui, victime de son manque d’éducation commet sans s’en rendre compte des gestes terribles à l’égard de son enfant.

Une proximité percutante

Les habitués le savent: la salle du Théâtre Prospero est toute petite, l’ambiance y est intime. Dans le contexte actuel où seule une quinzaine de sièges peuvent accueillir un spectateur, la proximité entre public et acteurs était remarquable. Stephanie et Tommy transperçaient le quatrième mur.

Rarement est-ce possible de se sentir aussi proche de personnages au théâtre, de voir les larmes se former dans les yeux d’un comédien puis couler sur ses joues. Pouvoir lire les émotions profondes de ceux évoluant sur scène directement dans leurs yeux relève certainement du privilège. Ce n’est pas tous les jours qu’un personnage nous regarde droit dans les yeux, alors que les siens sont pleins d’eau.

Crédit photo : Vincent Morreale.

Le choix de la traduction plutôt que de l’adaptation

Le choix de traduire la pièce plutôt que de l’adapter est questionnable. Il est important de comprendre que le metteur en scène, Philippe Gauthier, jugeait que la pièce redevenait d’actualité suite aux témoignages rendus publics d’ex-enfants de la DPJ, suite à la Commission spéciale sur le droit des enfants et la protection de la jeunesse.

Tous les référents sont tirés de l’époque et du lieu. Ça se voit non seulement dans les textes, mais également dans l’écriture de la pièce: le tout peut paraître cliché, même vieux jeu par moments.

Bien que la pièce demeure intéressante, entre autres grâce à l’imposant jeu des acteurs, L’âge du consentement conserve un côté vieux jeu imposé par l’époque, et les référents sont difficiles à capter pour ceux n’étant pas familiers avec la culture générale anglaise de la fin du 20e siècle.

Il aurait pu être intéressant d’adapter la pièce au Québec actuel (ou encore à l’Angleterre actuelle): les propos tenus, le langage utilisé et les carcans des rôles masculins et féminins peuvent relever de l’anachronisme plutôt que de la référence historique.

Au début de la pièce, difficile de savoir ce qui cloche du côté de Tommy: est-ce la traduction de Pierre Mandeville qui laisse à désirer, la mise en scène et la direction d’acteurs qui est clichée, ou est-ce la performance de Dominik Dagenais qui ne convainc pas?

Certaines répliques semblent tirées tout droit d’un drame romantique de l’époque. Alors que l’enfant tueur coud des yeux à un ours en peluche, il s’excuse de lui avoir donné des yeux, puisque la vie est laide: «garde les yeux fermés petit ours», lui dit-il…

Au fur et à mesure de la progression de la pièce, il devient évident que le problème réside plutôt du côté de la traduction: le comédien livre les émotions de son personnage de manière percutante.

Crédit photo : Vincent Morreale.

 

Du côté de Stephanie la mère-fille, elle est souvent utilisée comme comic relief: alors qu’il est impossible de rire du jeune homme, les entrées en scène de la comédienne suscitent la rigolade. Rien de mal à cela, diraient certains. Pour notre part, on juge que ça tombe parfois dans la facilité et les clichés d’utiliser le personnage féminin à cet escient. Il faut dire que la performance incroyable et profonde d’Isabeau Blanche n’est certainement pas à blâmer et que son récit frappe tout de même de plein fouet.

La pièce demeure tout de même intéressante: elle permet de se plonger dans les responsabilités journalistiques, celles des parents, de l’éducation de ceux-ci et de leurs enfants. L’importance de L’âge du consentement peut facilement être résumée par une phrase que le personnage de Tommy tire d’un article à son sujet dans le journal: était-il nécessaire que cet enfant commette un crime pour avoir accès à une éducation?

L’âge du consentement est présentée au Prospero jusqu’au 18 février. Billets et détails par ici.

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