crédit photo: Bobby León
La question des fleurs

La question des fleurs à l’Agora de la danse | Quand des contraintes naît la collaboration

Depuis le début de la pandémie, la consigne de « se réinventer » a été mal reçue par bon nombre d’artistes, comme si ça signifiait « arrangez-vous avec vos troubles ! ». Mais Mickaël Spinnhirny voit plutôt les contraintes comme des défis créatifs qu’il embrasse. Et dans le cas de la présente crise, ça a donné lieu à « La question des fleurs », projet collaboratif créé à distance avec quatre chorégraphes et deux danseurs, qui a sillonné 22 villes du Québec et terminera un cycle de tournée à l’Agora de la danse, à Montréal, du 4 au 8 mai prochain, suivi d’une webdiffusion du 14 au 21 mai.

Ironiquement, c’est la plus grande tournée au Québec que j’ai eue…

Qui l’eût cru? Le spectacle de danse La question des fleurs tourne depuis le 1er novembre dernier, et seulement quatre représentations ont été annuléss. « On est extrêmement chanceux », souligne Mickaël Spinnhirny, qui a initié le projet avec son agence artistique. « On a fait une tournée de la zone orange toute la saison. Vingt-deux villes. Et pour certains diffuseurs, c’était la première fois qu’on y présentait de la danse : à Rivière-du-Loup et Amos par exemple. Des représentations à 150 personnes dans la salle, plus que d’habitude en temps normal. Ça a été l’une des plus belles saisons artistiques, l’une des plus stimulantes que j’ai connues. »

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Spinnhirny y va d’une approche optimiste. Le proverbial verre à moitié vide, lui il le voit aux trois quarts plein.

« Je veux dire, ça a été une période de grande turbulence, on ne se mentira pas, nuance-t-il. J’ai annulé plus de 250 spectacles. C’est une période qui a brassé. Au printemps dernier, on cherchait des solutions pour continuer à faire ce qu’on sait faire de mieux : c’est à dire créer de la danse, la diffuser, rencontrer les publics. Mais nous avons décidé de voir les restrictions comme quelque chose de créatif, et c’est le manifeste sur la liberté artistique derrière La question des fleurs.

Rares sont les spectacles qui permettent de fusionner quatre visions chorégraphiques distinctes. Pour La question des fleurs, Andrea Peña (dont on définit l’énergie créatrice comme « brute, rigoureuse et viscérale »), Ismaël Mouaraki (qui mise sur « l’intensité physique, organique et urbaine »), et Dominique Porte (au style plus poétique et fantasque) ont mis la main à la pâte — ainsi que, pourquoi pas rendu là! — un chorégraphe français, soit Christophe Garcia!

Créer pour un chorégraphe, c’est un processus solitaire en temps normal. Là, ça a été collectif. Tous les vendredis, on se faisait un zoom d’une heure. Il y avait quelque chose de contagieux dans l’écriture chorégraphique, dans la façon d’aborder le mouvement. On reconnaît le style de chacun, mais aussi des idées communes. C’est une seule oeuvre, au final. On ne peut pas en enlever un ou découper.

Montrer l’intimité grâce à un couple d’interprètes

Alors que plusieurs spectacles se réadaptent en proposant des performances solo, l’équipe derrière La question des fleurs avait une autre idée en tête :  faire appel à Daphnée Laurendeau et Danny Morissette, couple à la vie comme à la scène, pour créer un spectacle qui plonge dans l’intimité des corps en contact. « Il y a quelque chose de touchant, spécialement en ce moment, de voir deux corps se toucher, souligne Mickaël Spinnhirny, les yeux brillants. Ou souhaitait remontrer ce qu’on ne voit plus : l’intime. Ces gestes qu’on met en barrières en ce moment. D’où le titre… On est parti d’une question actuelle : puisqu’on ne peut plus offrir de bise ou de poignée de mains, qu’est-ce qu’on a le droit d’offrir ?  Est-ce qu’on peut offrir des fleurs dans les circonstances qu’on connaît ?  Alors les voici, nos fleurs : ce qu’on offre, c’est ces mouvements-là. »

Deux danseurs au service de quatre chorégraphes, ça demeure une formule pour le moins inusitée. « C’est aussi une façon de rendre hommage au travail des danseurs. C’est trop rare qu’on se donne autant la peine de célébrer ce travail d’interprètes. »  Il établit ensuite un parallèle intéressant : « On voit rarement sur scène un comédien passer de Shakespeare à Molière. Là (avec La question des fleurs), on passe à quatre signatures différentes. Comment l’interprète peut faire cet exercice? »

Ce couple uni, voire fusionnel, est le fil rouge de cette création à huit mains, tout comme le compositeur Laurier Rajotte qui a conçu une trame musicale commune pour les créations des divers chorégraphes.

 

De la danse sur le web

En plus des dernières représentations sur scène à L’Agora de la danse, La question des fleurs fera l’objet d’un spectacle virtuel présenté dès le 14 mai sur la plateforme sceno.tv, un outil mis à la disposition des artistes afin de leur offrir la possibilité de monétiser leurs spectacles virtuels. 100% des revenus vont aux artistes.

« La question des fleurs a été capté de façon spécifique pour l’écran. On a pris trois jours de tournage à temps plein, afin de réimaginer le spectacle pour le web. C’est stimulant de s’adapter à des nouveaux médiums. Le milieu de la culture, c’est notre rôle d’être ce phare dans la nuit, cet espace où on peut inventer des nouvelles choses. C’est un laboratoire inédit qu’on nous offre [avec la pandémie]. Plutôt que de voir ce qu’on ne fait plus, on préfère essayer des nouvelles choses. »

L’optimisme de Mickaël Spinnhirny s’est d’ailleurs répandu dans toute l’équipe. « C’est notre rôle! C’est juste une pandémie, entre guillemets. Il peut arriver tellement pire… On est soutenus, on est dans un pays qui a fait le maximum pour nous. On a accès à des programmes qui nous permettent de faire travailler notre monde, des interprètes aux techniciens. Je voulais qu’on trouve des solutions, et on les a trouvées ensemble. »

Parlant de trouver des solutions, Mickaël Spinnhirny, lui-même danseur « à la retraite depuis 3 ans », remontera sur scène pour l’occasion lors des représentations à Montréal!  La raison en est pour le moins touchante : Daphée, danseuse du couple, est enceinte de 3 mois! « La dernière pièce d’Andrea Peña est très intense physiquement, avec un baudrier, et tout ça. Alors par sécurité, pour ce numéro, c’est moi qui la remplace. La décision s’est prise naturellement, collectivement.»

« Ça devient une histoire de groupe, ce projet! C’est devenu un spectacle très personnel dans l’histoire des interprètes, dans leur famille, leur histoire amoureuse. On l’a vécu ensemble: la nouvelle, le dévoilement du sexe, tout ça, on le vit ensemble avec beaucoup d’émotion, c’est très touchant.»

Cette magnifique nouvelle explique également pourquoi La question des fleurs en est à sa dernière ligne droite… pour l’instant!  L’équipe compte ramener le spectacle à l’hiver prochain.

 

 

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