La femme comme champ de bataille au MAI | La bataille de deux femmes fortes
L’adaptation de « La femme comme champ de bataille » de Naiem Jebelli relate l’horreur des viols institués sur les femmes durant la guerre mais expose d’abord le nationalisme exacerbé qui découle de ces conflits. La pièce était présentée au Mai (Montréal, arts interculturels) la semaine dernière, et ça se poursuit du 1er au 5 mars 2017.
La pièce écrite en 1996 par Matéi Visniec présente deux femmes aux horizons complètement opposés. Les destins d’une Américaine et d’une Bosniaque se croisent dans un centre de repos des rescapés de la guerre de Bosnie Herzégovine. Une puissante performance qui expose sans gants blancs les répercussions du viol comme arme de guerre. Les protagonistes Dora et Kate, sont interprétés par Nora Guerch et Marie-Ève de Courcy, dans cette pièce qui pose une profonde réflexion sur le saccage tant physique que psychologique des femmes lors des périodes de guerre. Une stratégie militaire qui a été certes utilisée depuis la nuit des temps, et se pratique toujours autant dans le monde aujourd’hui.
La pièce dénonce d’ailleurs les frontières entre les nations : « Je considère le Canada comme le plus grand pays après la Russie, mais c’est une grande province du monde, de la communauté internationale », nous dit Naiem Jebelli, qui stipule que la thématique centrale de la pièce n’est pas le viol des femmes en zones de guerre, mais le nationalisme agressif qui donne lieu aux conflits armés. « Nous ne parlons pas de la guerre qui a eu lieu en Bosnie spécialement. C’est une excuse pour nous, de parler de cette guerre spécifique, mais à la fin de la pièce, nous ne parlons pas de la Bosnie, nous parlons de l’humanité ». La trame de La femme comme champ de bataille s’applique à toutes les guerres dans le monde : « Quand tu penses que tu es meilleur que les autres et que ta nation est plus forte, tu veux posséder ces autres nations. Tu te sens légitime de faire ce genre de choses », poursuit Naiem Jebelli.
Dora, interprétée par Nora Guerch, révèle avec grande justesse la brisure intérieure permanente des victimes de viols de guerre. « Dora est une femme du monde qui a souffert d’une grande oppression de son propre corps par les soldats. Elle n’en demeure pas moins une femme forte qui retient le cri de toutes les femmes ».
Kate, interprétée par Marie-Ève de Courcy se présente au départ comme une incassable psychologue américaine qui s’est porté au soutien des équipes qui ouvrent les charniers après la guerre de la Bosnie-Herzégovine. Kate doit réparer Dora, fracassée par les viols chroniques des soldats serbes sur son corps. « Elle est une femme éduquée qui est arrivée en Bosnie avec tout son bagage de connaissances et son diplôme de Harvard, et est convaincue qu’elle peut soutenir Dora. On réalise que Kate a autant besoin de support que Dora. Ces femmes représentent toutes les femmes. D’abord nous y voyons deux personnages différents, mais plus la pièce avance, plus l’identité des deux protagonistes devient floue, il se produit une fusion », explique Marie-Ève de Courcy.
La communication aride entre les deux femmes prend un certain temps avant de pouvoir se réaliser, car elle va plus loin que les mots. « Un grand mur sépare l’Américaine et la Bosniaque, poursuit Nora Guerch. Kate vient pour aider quelqu’un avec ce qu’elle a appris dans les livres, et elle réalise que c’est inefficace. Pour Dora, le mur est une montagne de colère. Tranquillement, le mur s’écroule et les deux personnages se rencontrent et réalisent qu’elles ne font qu’un. Ensemble, elles ont absorbé la même douleur et l’odieux comportement des hommes. »
Un contexte socio-politique de mise pour la création
Naiem Jebelli est originaire de l’Iran et confie que la pièce a occupé son esprit pendant un certain temps. « Nous devons vivre dans un pays libre pour donner une bonne performance de cette pièce, c’était donc impossible à réaliser en Iran. Quand je suis arrivé ici j’ai vu certains évènements malheureux qui arrivaient au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord reliés aux conflits armés. J’ai appris que l’État islamique avait commencé à violer les femmes qui n’étaient pas musulmanes et en faisaient des esclaves sexuelles. Je me suis dit que c’était le temps pour adapter la pièce parce que nous vivons au 21e siècle, et malgré tout, les mêmes évènements se reproduisent encore et encore ».
Le mise en scène de Jebelli, lui-même affecté par le conflit iranien, redéfinit la pièce qui traite d’une problématique délicate et toujours d’actualité où la femme est encore vue comme une cible première pour détruire des populations. Jebelli se veut donner au drame une version universelle qui brise le mur entre l’Orient et l’Occident. Une expérience théâtrale qui transporte le spectateur avec un trame sonore puissante, des décors aux symboliques féminines ainsi que des écrans avec projections de vidéos et d’animation.
- Artiste(s)
- La femme comme champ de bataille
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- arts interculturels), MAI (Montréal
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