La campagne (de Martin Crimp) au Théâtre Prospero | La pièce n’a pas lieu…
Proposition théâtrale un peu trop audacieuse, pure provocation au nez même du spectateur, ou encore affront à son intelligence? La pièce La campagne de Martin Crimp au Prospero, qui se déroule dans la pénombre presque complète, avec des comédiens qui chuchotent leur texte tout-bas, jusqu’à l’exaspération, a de quoi dérouter, si ce n’est rebuter devant un tel comble de snobisme jamais vu au théâtre.
Comme un artiste peintre réputé qui exposerait dans une galerie d’art et vendrait à prix fort une toile complètement blanche intitulée Neige, la pièce de l’Anglais Martin Crimp, un auteur d’avant-garde pourtant encensé en Europe, frise la supercherie dans son présent rendu scénique. Quelle frustration, en effet, de ne pas entendre le texte, sinon un mot ou deux, échappés de temps en temps du chuchotement des trois comédiens entre eux, au mépris du public!
Le metteur en scène, Jérémie Niel, Français formé au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, parle dans le programme de « simulation et de mensonge » qui s’articulent dans la pièce « pour parler en même temps de l’être social que nous sommes et de la question de la théâtralité, sur scène comme dans la vie ».
On veut bien, mais encore faudrait-il entendre ce qui se dit sur cette scène plongée dans l’obscurité. « Ce sont les mots qui créent les images », dit encore Crimp, comme pour en ajouter à notre impuissance de compréhension de ce qui est peut-être, dans la traduction de Guillaume Corbeil, un bon texte? Seulement peut-être, car il est impossible dans sa forme actuelle d’en juger, à moins d’être assis dans la première rangée ou d’avoir des oreilles bioniques.
Il y a bien trois personnages, un homme et deux femmes, joués par Delphine Bienvenu, Victoria Diamond et Justin Laramée. Leur jeu paraît juste, mais on ne sait pas de quoi ils parlent, ni leur relation l’un par rapport à l’autre, c’est-à-dire ce qui se passe vraiment entre eux là où ils sont devant nous et pour nous.
On devine de l’ambiguïté, peut-être de la trahison, de la fuite probablement, peut-être le labyrinthe d’un triangle amoureux, une vengeance, un abandon, une blessure, feinte ou réelle, de la cruauté, on se retrouve devant le contraire même d’une histoire dans toute son insaisissabilité.
De sorte que ce matériau brut reste intégralement matière à présomption, et qu’au final la pièce n’a pas lieu.
- Artiste(s)
- La Campagne
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Prospero
Vos commentaires