La Bonne Ame du Se-Tchouan au TNM | Un conte profond et festif mis en scène par Lorraine Pintal

Dans une Europe en pleine montée du nazisme, Brecht lançait en 1938 un cri d’alarme à travers La Bonne Âme du Se-Tchouan. Cet appel est aujourd’hui réactualisé par le biais de la traduction du texte allemand par Normand Canac-Marquis et la mise en scène de Lorraine Pintal, au Théâtre du Nouveau Monde de Montréal jusqu’au 11 février 2017.


Dans cette pièce parabole, la question qui se pose est de savoir comment être bon dans un monde corrompu, un monde où règnent guerres, injustices sociales et conflits financiers. Sommes-nous véritablement bons ou sommes-nous bons quand les circonstances nous le permettent ?

Il semblerait que ce soit la prostituée Shen Té (Isabelle Blais), qui, par sa bienveillance incarnée, apparaisse elle-même comme la bonne âme de ce monde tourmenté qu’est le Se-Tchouan, une des provinces les plus peuplées et les plus industrialisées de Chine.

En acceptant de loger le dieu descendu sur terre (Jean Marchand), elle reçoit de sa part une somme d’argent lui permettant ainsi d’acquérir une petite boutique de tabac et de gagner sa vie décemment. Toutefois bien trop généreuse, la jeune fille se fait rapidement manipuler par les habitants du Se-Tchouan et par le bel aviateur Yang Sun (Émile Proulx-Cloutier) dont elle est tombée amoureuse.

Pour imposer son autorité et tenter de sauver son malheur, Shen Té se déguise en son prétendu cousin Shui Ta, redoutable homme d’affaires, s’avérant être le double négatif.

Photo par Yves Renaud.

Photo par Yves Renaud.

 

L’apport musical de Philippe Brault

C’est avec beaucoup de légèreté que Lorraine Pintal parvient à traiter ces thèmes graves et profonds, en faisant de la musique une part essentielle à son théâtre. Et pour cause, elle a fait appel à Philippe Brault pour composer les quelques dix-neuf chansons et les transitions de cette pièce, interprétées en fond de scène par les quatre musiciens et leur quinzaine d’instruments dont le piano, l’harmonium, la scie égoïne, l’accordéon, le trombone, les percussions ; et les quinze acteurs-chanteurs.

Nos oreilles se délectent ainsi d’influences aussi diverses que celles de Kurt Weil avec qui Brecht avait beaucoup collaboré notamment dans L’Opéra de quat’sous, de Tom Waits, de vieilles comédies musicales, ou encore de musique traditionnelle chinoise, tout en respectant le style cabaret, si cher à l’auteur.

On pénètre ainsi au cœur de cette province chinoise happé par les projections vidéo de Lionel Arnould et les chorégraphies de Jocelyne Montpetit, imprégnant le spectacle d’une gestuelle singulière.

Bien qu’elle rende son théâtre accessible et divertissant, Lorraine Pintal place toutefois la problématique du double au cœur du spectacle à travers la mise en scène de Shen Té et Shui Ta, femme généreuse et négociateur sans pitié, support de la dénonciation du capitalisme et de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Voyage initiatique au cœur de la médiocrité humaine où la pauvreté sonne comme une adaptation des Misérables de Hugo, le cabaret berlinois côtoie la Chine contemporaine, et c’est finalement un Se-Tchouan pas si lointain qui prend cette forme démesurée pour faire de cette pièce « un appel désespéré à la solidarité face à un monde qui assume de plus en plus sa cruauté. » (Bernard Dort).

Un théâtre donc toujours aussi actuel, toujours aussi poétique et pétulant qui s’adresse à tous, tout en n’étant accessible qu’à une minorité…

A découvrir au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 11 février.

Détails et billets : www.tnm.qc.ca/piece/bonne-ame-se-tchouan

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