Jean-Michel Blais

Jean-Michel Blais à la Maison symphonique | Rêver d’un matin éternel

Tel un rayon de soleil picotant le visage fatigué après une longue nuit, la musique de Jean-Michel Blais est emplie d’un optimisme sans faille. Dans un monde incertain, laid et violent, le pianiste québécois préfère remarquer le beau. Dans un monde incertain, Blais préfère percevoir l’entame d’un nouveau chapitre et non le bout de la nuit. Ce jeudi 11 janvier, Jean-Michel Blais, accompagné de l’Orchestre de l’Agora dirigé par Nicolas Ellis, présentait aubades symphonique devant une Maison symphonique comble.

À 20h, Jean-Michel Blais gagne son instrument et débute le spectacle avec Closing, une composition de Philip Glass.

Closing, débuter avec la fin.

Le passage du pianiste de Nicolet représente bien l’un des trois derniers concerts de sa tournée, après plus de 80 représentations menées en Europe, aux États-Unis et au Canada. Débuter avec la fin, mais à l’image de l’idée qui englobe aubades, le matin est éternel, et la finalité ne laissera place qu’à un autre élan de créativité.

Blais joue quelques minutes en solo, avant de se faire rejoindre par les altos, les violoncelles, une flûte. L’orchestre gagne en richesse, et de la fumée apparaît tranquillement sur les côtés de la scène, à l’image d’une brume enveloppant les lève-tôt.

L’aurore frappe sur la Maison symphonique.

 

Populaire et pétillant

À la fin de l’introduction d’aubades symphonique, Blais prend le micro et se dit très touché par l’intérêt du public. De fait, la Maison symphonique accueille des personnes debout, au dernier étage, un format inhabituel pour les spectacles du genre. Le néo-classique rejoint, une énième preuve.

« Ça va être long, pour une musique aussi ennuyante », ironise l’artiste sous les rires de l’établissement.

Jean-Michel Blais cède le micro à Nicolas Ellis, qui détaille l’objectif du spectacle : créer un dialogue entre le matériel de Blais et la musique de grands artisans du classique, Satie, Rachmaninov, Vivaldi, Britten et d’autres.

L’orchestre et le pianiste enchaînent sur Passepied de Debussy, avant de la comparer avec la version de Jean-Michel Blais portant le même nom. Sans forcément connaître le travail de grands compositeurs d’antan, ou en ne regardant simplement pas le programme, il s’avère facilement possible de discerner si la musique entendue provient originellement des doigts de Jean-Michel Blais, ou d’un autre.

Peu d’éléments se rejoignent entre le classique et le néo-classique, si ce n’est les instruments utilisés dans les compositions, le renouvellement du genre reprenant davantage de codes de la pop que du classicisme, par exemple. Mais sans doute, la musique instrumentale devait évoluer, et à voir l’engouement qu’elle suscite maintenant, c’est à se dire que c’est peut-être pour le mieux.

 

Pour un peu de tendresse

Le répertoire choisi ce jeudi reflétait à merveille les aubades de Blais : doux et léger, un anti-Wagner, un anti-Khatchatourian. Si le pianiste est mis de l’avant sur la scène, derrière une magnifique composition florale aux abords du parterre, Jean-Michel Blais se fond parfois dans la musique devenant un membre de l’orchestre et non l’étoile de la soirée. Du matin, pardon.

Suivant l’espiègle Playful Pizzicato de Benjamin Britten, interprété comme le nom le laisse entendre par des cordes pincées et non frottées, les musiciens enchaînent avec nina, géniale composition de Blais dédiée à une jeune fille gardiennée par le pianiste quand il composait son troisième opus.

Au milieu de la pièce, Nicolas Ellis s’assoit sur le banc de Blais et vient jouer du clavier, le morceau se transforme en un quatre mains sous le regard amusé de la Maison symphonique. Concernant le chef d’orchestre, rien à critiquer. Ellis dirige parfaitement son ensemble, sait s’adapter aux styles à travers une approche parfois décontractée, tantôt métronomique.

Une performance d’autant plus impressionnante pour le directeur musical de l’Orchestre de l’Agora lorsqu’on apprend que son unique participation au projet d’aubades remontait à l’enregistrement de l’album en studio, quelques années auparavant.

Un coup de cœur personnel : la sublime composition absinthe (permettant de tenir jusqu’aux premières lueurs du matin sans gagner son lit, d’après Jean-Michel Blais), rappelant énormément Frédéric Chopin dans la forme de la pièce. Si le néo-classique ne ressemble généralement pas au classique, ce morceau du spectacle fait exception à la règle et transporte la Maison symphonique dans les réceptions mondaines les plus romantiques de Paris, il y a de cela 200 ans. La période représente la quintessence absolue de la musique classique, ce que le quatrième art a eu de plus beau à offrir. D’un point de vue personnel, encore.

Suivant un entracte, les musiciens sur scène reprennent le spectacle avec une version revisitée des Quatre Saisons de Vivaldi, s’immisce en République tchèque à travers la composition de Bedřich Smetana. L’orchestre vit, l’orchestre respire, comme un cœur qui bat, comme une feuille qui danse au gré du vent. Les musiciens clôturent leur performance avec Santorini, avant de répondre à la ferveur du public à travers un rappel.

Ce qui frappe chez le compositeur, c’est évidemment sa capacité à se renouveler. Jean-Michel Blais pourrait se limiter au piano (ce qui est déjà bien comme ça), mais a décidé d’expandre son univers davantage dans ses albums, utilisant un orchestre de chambre ou des expérimentations électroniques. 2024, ou 2025, verra sûrement naître un nouvel album signé Jean-Michel Blais, et chaque amateur de néo-classique ne peut que s’en réjouir.

Une soirée maîtrisée de bout en bout, que ce soit au niveau de la musique directement, de la complicité entre Blais et Ellis mais également des éclairages. La Maison symphonique laisse derrière elle un univers reposant, attendrissant, après deux heures de concert, jusqu’à ce que le prochain matin vienne pointer le bout de son nez.

Jean-Michel Blais donnera une autre représentation d’aubades symphonique ce soir à la Maison symphonique, et viendra clôturer sa tournée au Grand Théâtre de Québec le 14 mars 2024.

 

Grille de chansons

  1. Closing (Philip Glass)
  2. murmures (Jean-Michel Blais)
  3. Suite Bergamasque – Passepied (Claude Debussy)
  4. passepied (Jean-Michel Blais)
  5. absinthe (Jean-Michel Blais)
  6. Gymnopédie No. 3 (Erik Satie)
  7. if you build it, they will come (Jean-Michel Blais)
  8. Playful Pizzicato (Benjamin Britten)
  9. nina (Jean-Michel Blais)
  10. outsiders (Jean-Michel Blais)
  11. Piano Concerto No.2 in C minor, Op.18 – II. Adagio sostenuto (Sergueï Rachmaninov)

Entracte

  1. Spring 1 – Recomposed (Max Richter)
  2. Má Vlast (Bedřich Smetana)
  3. carrousel (Jean-Michel Blais)
  4. amour (Jean-Michel Blais)
  5. J’y suis jamais allé (Yann Tiersen)
  6. ouessant (Jean-Michel Blais)
  7. yanni (Jean-Michel Blais)
  8. Santorini (Yanni)

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