FTA 2016 | L’autre hiver de Denis Marleau : La croisière ne s’amuse pas du tout

Depuis sa fondation en 1982, UBU compagnie de création nous a habitués, à travers une cinquantaine de productions, à partager les visées artistiques de son directeur, Denis Marleau, à rien de moins que de réinventer le théâtre. Car le théâtre seul ne suffit pas à ce maître de la scène québécoise salué dans le monde. Il lui faut ajouter les arts plastiques, la musique, les textes sans concessions, et l’expérimentation des nouvelles technologies, repoussant sans cesse leurs limites. Mais avec L’autre hiver, présenté au Festival TransAmériques, et cette improbable rencontre entre Verlaine et Rimbaud sur un bateau fantomatique, la croisière ne s’amuse pas du tout.

Le projet n’en est pas moins ambitieux, et il aura fallu beaucoup d’acharnement artistique pour gouverner ce bateau qui, pour toutes sortes de raisons, n’arrive pas à bon port. Ainsi présenté sous la forme d’un opéra fantasmagorique, le spectacle paraît vidé de sa substance, désincarné, sans âme et prétentieux.

Photo : Kurt Van der Elst Hires

Photo : Kurt Van der Elst Hires

Au début, la conception scénique impressionne. Nous sommes devant une trentaine de personnages automates, qui clignent des yeux et remuent les lèvres au gré du texte, dont un chœur d’enfants. À l’étage, si l’on peut dire, le pont squelettique d’un navire sur lequel les concepteurs font se rencontrer les deux poètes maudits, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, dont les amours tumultueuses ont défrayé les manchettes au 19e siècle, mais qui ne scandalisent plus personne.

Derrière le chœur formé par les automates, on voit de dos au centre s’agiter le chef Filip Rathé, mais les six musiciens, comprenant un violoniste, un altiste, un violoncelliste, un flutiste, un clarinettiste et un pianiste, resteront cachés tout au long de l’interminable traversée.

Photo : Kurt Van der Elst Hires

Photo : Kurt Van der Elst Hires

L’autre hiver a été créé l’année dernière à Mons, en Belgique, alors que la ville avait le statut de Capitale européenne de la culture. D’autant que c’est dans la prison de Mons que Verlaine a été incarcéré pendant plus d’un an après avoir atteint Rimbaud d’une balle de revolver dans un hôtel de Bruxelles. Le projet lui est né de la rencontre en 2012, par le biais du directeur du Manège de Mons, Daniel Cordova, entre Denis Marleau et le compositeur belge Dominique Pauwels. L’un comme l’autre sont des sommités artistiques en Belgique.

 

Texte sombre mais irréprochable

Denis Marleau, et son associée Stéphanie Jasmin, ont aussitôt pensé au dramaturge Normand Chaurette, avec qui UBU a maintes fois collaboré, pour l’écriture du livret de cet opéra moderne. Et ils ne se sont pas trompés, le texte de Chaurette, d’une grande beauté – bien que noir et pessimiste comme l’a souhaité le compositeur – étant ce qu’il y a de plus irréprochable dans cette production que l’on a pu voir mercredi soir au Centre Pierre-Péladeau.

Ce qui achoppe, c’est la musique de Dominique Pauwels, sombre, extrêmement monosyllabique quand ce n’est pas dissonante, comme c’est souvent le cas en musique contemporaine à l’opéra ou en formule concert. C’est à croire qu’elle est composée expressément dans l’intention de tomber sur les nerfs, comme sur un instrument désaccordé dont l’écoute se transforme en épreuve d’endurance, ce que d’ailleurs n’ont pas supporté longtemps plusieurs spectateurs de L’autre hiver qui ont quitté la salle à peine à mi-parcours du voyage.

L’idée par contre de faire interpréter les rôles des deux poètes par les sopranos Lieselot de Wilde et Marion Tassou ne manquait pas d’audace et d’originalité. Encore aurait-il fallu y trouver quelque lien mélodique dans leur interprétation sur cette musique ennuyante, en manque de chair, et sans aura pour tout dire. Chantées ou récitées, les voix sont soit trafiquées électroniquement, soit murmurées, soit psalmodiées, au point où il faille suivre les surtitres en français pour comprendre ce qui est chanté ou récité en français.

Outre le texte de Chaurette, c’est finalement la conception et la réalisation des masques et effigies de Claude Rodrigue et Anna Solal qui sont le plus réussi au coeur de ce si regrettable naufrage.

Vos commentaires