Festival TransAmériques 2020 | La programmation complète entre l’euphorie et le doute
Normalement, l’annonce de la programmation complète du prochain FTA aurait dû se faire à la SAT devant quelque 500 inconditionnels. Mais là, dans le contexte de fin du monde qui interdit les rassemblements, le directeur artistique, Martin Faucher, s’est rabattu sur une présentation de 42 minutes en direct sur la page Facebook du FTA, sans être sûr que l’imposante manifestation, qui réunit le meilleur en théâtre et en danse dans le monde, se tiendra bel et bien dans 13 lieux du Quartier des spectacles à Montréal du 20 mai au 3 juin, comme espéré.
22 spectacles de partout
La 14e édition du Festival TransAmériques ambitionne de présenter 22 spectacles en provenance d’un peu partout sur la planète. Cinq spectacles ont déjà été annoncés en janvier, parmi lesquels Stations de la danseuse kamikaze Louise Lecavalier qui vient d’en faire la création mondiale à Düsseldorf. « Elle est unique. Elle est la danse », disait d’elle Martin Faucher.
De son côté, la toujours intrigante artiste multidisciplinaire Marie Brassard créera son prochain opus, Violence, en Allemagne également, juste avant d’arriver au FTA. Là encore, rien n’est moins évident, car des artistes japonaises sont impliquées de près dans cette création et les répétitions se déroulent entre Kinosaki et Tokyo.
On savait déjà aussi qu’une visite inespérée du renommé metteur en scène français d’origine britannique, Peter Brook, – il vient d’avoir 95 ans -, est prévue avec le spectacle Why? qu’il cosigne avec sa complice Marie-Hélène Estienne. Une œuvre inestimable, à saveur testamentaire, où le grand maître questionne en profondeur le comment et le pourquoi de l’exercice du théâtre dans nos vies dissolues. En outre, les enseignements du metteur en scène russe Vsevolod Meyerhold seront pris à partie.
Un « concert chorégraphique »
De Paris et de Madrid, pour un soir seulement au Monument-National, le tandem du chorégraphe et danseur François Chaignaud et du musicien baroque Nino Laisné est prévu depuis longtemps aussi pour leur « concert chorégraphique » Romances inciertos, un autre Orlando, avec trois figures androgynes issues du folklore espagnol.
Même chose avec Requiem pour L., du compositeur Fabrizio Cassol et du chorégraphe de renom Alain Platel, avec leurs 14 musiciens et chanteurs de tous les continents. Opéra, jazz et rythmes africains accompagnent les ultimes instants de vie d’une femme en ravivant toute la puissance mythique du Requiem inachevé de Mozart. Martin Faucher n’a pas hésité le moindrement à qualifier le spectacle de « grandiose ».
Huit créations
La présentation sur Facebook était accompagnée par des extraits vidéo des œuvres, pour mieux nous mettre dans le bain et justifier nos choix. Mais, le menu est tellement alléchant qu’on voudrait voir les 22 spectacles, surtout que huit du nombre sont des créations. « Là où nous pourrions être pétrifiés, disait Martin Faucher, les artistes nous permettent de danser sur les ruines de notre chaos, souvent avec joie. Debout, rassemblés par l’art, nous pouvons beaucoup. »
Les Grecs en ouverture du festival
C’est Elenit, du Grec Euripides Laskaridis, qui aura l’honneur d’être présentée en ouverture du FTA le 20 mai au Théâtre Jean-Duceppe. Propulsée par la force d’une éolienne, une faune étrange nous entraîne dans un conte burlesque où le chaos règne en maître. Martin Faucher avait parlé d’une « humanité défaillante » dans son introduction.
Parmi les autres créations, se trouvent P.O.R.N. (Portrait of Restless Narcissism) par le duo intrépide formé de Christian Lapointe et Nadia Ross avec « un théâtre 2.0 pour 18 ans et plus ». Et Post coïtum, que la chorégraphe québécoise Mélanie Demers décrit comme « une bacchanale décadente, extatique et dérangeante » sera présentée en première mondiale.
Aussi, J’ai pleuré avec les chiens, la toute première pièce de groupe par la chorégraphe de l’extrême, Daina Ashbee, performée par cinq femmes; SIERRANEVADA, de Manuel Roque seul, arborant une perruque blonde au milieu d’un espace vide au Wilder; et enfin, une autre première mondiale, Contingency, par le Japonais Hiroaki Umeda qui fusionnera danse, lumière et son sous le dôme de la SAT.
Plusieurs premières visites à Montréal
Des compagnies étrangères en danse se produiront pour la première fois au FTA. C’est le cas pour Alice Ripoli de Rio de Janeiro avec Cria et ses dix danseurs exhalant la vie. « Une bombe d’énergie pure », disait d’elle Martin Faucher.
C’est le cas aussi pour l’artiste new-yorkaise rebelle nora chipaumire (sans majuscules), une reine du punk dansé originaire du Zimbabwe, avec un épuisant spectacle de trois heures sous le titre imprononçable de #PUNK 100% POP *N!GGA.
Côté théâtre, on attend le Torontois Jordan Tannahill avec Declarations et ses cinq interprètes improvisant sur la portée de centaines de petites phrases lancées à l’air libre. La Chilienne de Santiago, Manuela Infante, nous proposera pour sa part un avenir raconté par les plantes avec le transformisme d’un arbre humain dans Estado vegetal au Théâtre Espace Go.
Même un trio d’artistes syriens
Le Belge Louis Vanhaverbeke, en bricoleur aguerri, présentera à Espace libre son inventif Mikado Remix qui adopte « l’imaginaire comme mode de vie ». Alors qu’un trio syrien venu de Damas en passant par Berlin et Paris, témoignera d’une si honteuse guerre destructrice, avec Alep. Portrait d’une absence, un spectacle hors norme qui sera présenté dans l’intimité, à raison d’un seul spectateur à la fois au Studio Hydro-Québec du Monument-National.
* Photo par Léontien Allemeersch.
La programmation du prochain FTA compte aussi sur le retour au Théâtre Prospero d’Aalaapi (mot qui signifie faire silence) par un collectif de femmes du Nunavik et de Montréal, spectacle qualifié de « bijou sonore et théâtral ». Sur le retour également d’Anima / Darkroom des artistes québécois 7Starr + Lucy M. May, emblématiques du krump qu’on dit « galvanisant et libérateur ».
Aussi, une production de Gand et de Berlin, La Reprise. Histoire (s) du théâtre (1), du metteur en scène Milo Rau, inspirée d’un meurtre sordide homophobe, mesurera au Théâtre Jean-Duceppe « notre capacité à représenter l’insoutenable ».
Et enfin, sur le retour d’Un temps pour tout par la compagnie montréalaise Lorganisme de Sovann Rochon-Prom Tep, dirigeant la meute des danseurs hip hop Pax, Jigsaw et Sangwn. « Brut, explosif, joyeux. » Ces deux derniers spectacles seront présentés à La Chapelle Scènes Contemporaines.
Un aquarium géant de 12 tonnes d’eau sur la Place des Festivals
Sans oublier une curiosité de ce 14e FTA avec l’installation par l’artiste de Los Angeles Lars Jan d’un aquarium surdimensionné sur la Place des Festivals renfermant 12 tonnes d’eau. Une performance intitulée Holoscenes, assénée comme un coup de massue pour nous faire réfléchir à l’urgence de réagir aux changements climatiques qui menacent l’avenir de la race humaine en ce début de décennie qui inquiète.
Mais, le tout-Montréal change pendant la durée du Festival TransAmériques. Une belle folie créatrice arrivant de partout flotte sur la ville et les théâtres qui accueillent le festival, aussi bien qu’à son QG bourdonnant d’activités et de rencontres dans une atmosphère festive, malgré l’état actuel du monde.
« Soyons gais, mais ne soyons pas dupes », a déclaré peu de temps avant sa mort l’immense Eugène Ionesco. Des mots lourds de sens que pourrait reprendre à son compte Martin Faucher. Bon festival, pourvu que ça ait lieu!
- Artiste(s)
- Festival Transamériques
- Ville(s)
- Montréal
- Catégorie(s)
- Danse, Festival,
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