Alejandra Ribera

Festival de Jazz de Montréal 2014 | Entrevue avec Alejandra Ribera

Quelques mois après la parution de son excellent album La Boca, Alejandra Ribera en présentera le contenu au Club Soda jeudi soir dans le cadre du Festival de Jazz de Montréal. Un bel honneur pour la chanteuse torontoise, née d’un père argentin et d’une mère écossaise, et maintenant installée à Montréal. Entrevue avec l’artiste. 


Sors-tu.ca : Ton plus récent album, La Boca, est finalement paru en février dernier, après des mois et des mois de travail. Pourquoi était-ce si important de prendre tout ton temps ?

Alejandra Ribera : Ça faisait partie du processus… C’était la première fois que Jean (Massicotte) et moi travaillions ensemble. Il créait les arrangements, créait quelque chose qu’il partageait avec moi, et on le laissait de côté. On laissait le temps aux idées de respirer, avant d’y revenir plus tard. C’est un peu comme du slow cooking.

On s’amusait, entre autres, avec les percussions : on frappait toutes sortes d’objets qu’on trouvait : une lampe, une table, un ventillateur. (Rires) C’était un procédé un peu expérimental.
Il y a effectivement une belle variété de sons sur l’album, en terme de percussions. 

Au départ, on frappait les objets qui nous tombaient sous la main, pour voir comment ils sonnent. Au final, on en a gardé quelques-uns, mais on a aussi fait appel à un percussionniste, qui joue du cajon.

 

Maintenant que quelques mois ont passé, que les gens ont pu écouter l’album et qu’il t’est possible de prendre un peu de recul, comment perçois-tu l’album ?

À chaque fois que je l’écoute, je le perçois différemment. La musique change selon le contexte dans lequel on l’écoute.

Il faut aussi comprendre que j’avais un rôle d’élève dans le processus d’enregistrement de l’album. J’absorbais tout, et j’apprenais à mesure.

Une des choses qui m’inquiétaient, c’est qu’avec toutes ces couches d’arrangements, j’avais peur qu’on ait de la difficulté à reproduire fidèlement les chansons sur scène. Et finalement, je suis très contente, parce qu’elles prennent une tournure différente, une seconde vie. Avec juste de la basse, de la guitare, du piano et ma voix. Nous avons eu beaucoup de plaisir à les réinventer. Je les joue avec les deux mêmes gars, soit Jean-Sébastien Williams à la guitare et Cedric Dind-Lavoie à la contrebasse et au piano. Aucun des deux n’a joué sur l’album, alors en les préparant pour les spectacles, il fallait forcément réinventer.

 

Tu sembles avoir trouvé ton nid ici à Montréal. À quel moment as-tu réalisé que Montréal était bien ta ville d’adoption?

Ça m’a pris environ 3 ou 4 mois. Au départ, je ne connaissais personne, je partageais mon temps entre le studio et mes cours de français. C’est tout ce que je faisais. Mais peu à peu, je me suis intégrée à une certaine communauté de musiciens. C’est vraiment ça qui m’a fait me sentir chez moi : l’esprit de communauté avec les musiciens.

Parle-moi de ta relation avec Jean Massicotte, qui a réalisé ton album.

Avant de déménager ici, j’avais de la famille et des amis à Montréal. À chacune de mes visites, on me donnait des disques, comme Pierre Lapointe, qui est très connu ici, mais dont on n’entendait jamais parler à Toronto. C’est pourtant juste au bout de la 401…  J’ai découvert plusieurs albums québécois au fil des ans, comme Tu m’aimes-tu ? de Richard Desjardins, des trucs du genre.

Il s’avère que trois des albums que je préférais étaient réalisés par le même gars : La forêt des mal-aimés de Pierre Lapointe, Close To Paradise de Patrick Watson et The Living Road de Lhasa.  J’étais fascinée par le fait que, sur ces trois albums, dès que la musique démarre, l’ambiance dans la pièce change, mais dès que la voix embarque, la musique devient une plateforme pour la soutenir.

À l’époque, je faisais de la musique que les gens peinaient à catégoriser. Et je me souviens m’être dit : « je crois que cet homme pourrait trouver le fil conducteur dans ma musique ».  Il était très occupé, ça a pris beaucoup de temps avant qu’on établisse quelque chose. Un soir, j’étais invitée à chanter lors d’un spectacle hommage à Lhasa au Théâtre Rialto. Sur la liste de gens qui y participaient, il y avait aussi celui de Jean. À ce moment-là, il avait des disponibilités. C’était en novembre, je suis déménagée en janvier, et je n’ai jamais regretté quoi que ce soit.

Je suis une artiste, une interprète, je suis passionnée et je me pose pas trop de question, mais je ne savais rien du tout de ce qu’il fallait pour faire un album. Il a su prendre toutes ces idées un peu éparpillées que j’avais et les rattacher ensemble, comme le câble qui sert à garder les enfants de la maternelle ensemble lorsqu’ils déambulent, tu sais.

En quelque sorte, je crois que l’album comporte autant mes chansons que sa façon de les comprendre et de les organiser. C’est son art à lui, et je lui en donne tout le crédit. C’est quelqu’un en qui j’ai une confiance totale.

 

La comparaison avec Lhasa de Sela te colle à la peau, surtout ici à Montréal, où elle a véritablement marqué les esprits. Comment te sens-tu par rapport à cette comparaison ?

Je ne crois pas avoir donné une entrevue où son nom n’ait pas été mentionné ne serait-ce qu’une fois…

Il faut dire que j’ai rencontré et fréquenté sa communauté, un peu par hasard. Par exemple, j’étais allée voir Yves Desrosiers et Mario Légaré à la Taverne Cherrier, sans savoir que Mario avait travaillé avec elle. Après le spectacle, il m’a demandé si j’aimerais jouer à cet endroit, et m’a offert de s’occuper de la musique. C’est en acceptant que j’ai réalisé : « Oh, c’est pas mal l’ancien groupe de Lhasa… ».

En connectant avec sa communauté, je crois avoir connecté avec son univers. Je ne l’ai jamais vue en concert, mais j’admire son travail, son écriture, ses textes. Même si je ne trouve pas qu’on écrit des chansons semblables, je peux comprendre le lien qui se trace dans l’esprit des gens. J’ai rencontré sa mère lors du spectacle hommage, et elle m’a dit : « je ne trouve pas que vous chantez pareil du tout, mais il y a une chose, en revanche : votre chant provient de la même place en vous. »

 

Tu as déjà joué au Festival de Jazz de Montréal en 2011, en scène extérieure. Cette fois, ce sera en salle. C’est un honneur particulier pour toi de jouer au Festival de Jazz maintenant que tu es Montréalaise ?

D’un point de vue personnel, ça m’apporte beaucoup de joie parce que je le vois comme un signe d’acceptation de la communauté. Ça me fait croire qu’on accepte mon album, qu’on adopte mes chansons. Et ce sera mon plus gros spectacle à Montréal à date, alors je suis très excitée.

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