The Tings Tings

Entrevue avec The Ting Tings: Poutine, shuffle et album fantôme

Samedi soir dernier, le duo de Manchester The Ting Tings était de passage à Montréal pour un concert au National. Sors-tu.ca a rencontré les incomparables Katie White et Jules de Martino en coulisse quelques minutes avant leur entrée en scène.

« Je me rappelle d’avoir joué lors d’un festival extérieur il y a quelques années (Osheaga 2009) et j’étais tombée face première sur scène ». Voilà le principal souvenir de Montréal pour Katie White, la fille des Ting Tings.

Katie White, de The Ting Tings, lors de leur passage au National samedi dernier. Photo par Catherine Rosa.

« Ça m’arrive souvent en fait, mais j’aime bien constater comment la foule réagit quand tu trébuches sur scène. Au Japon, ils sont consternés. En Angleterre, ils rient de toi : ‘Haha! Espèce d’idiote’. Aux États-Unis, on applaudit. Ici, vous étiez plutôt respectueux », se rappelle-t-elle en riant de bon coeur.

D’autres détails lui revenaient alors en tête : des castors – ou plutôt « des gros rongeurs poilus à queue plate »… on suppose qu’elle voulait dire des castors – aperçus sur le bord du fleuve St-Laurent, et bien sur, la poutine, qu’elle nous soupçonne d’avoir plagiée des «chips’n’gravy » de Manchester.

Après une joute verbale à trois sur la malbouffe – Katie l’emporte en révélant son régime d’adolescence : pizza recouverte de frites et nappée de sauce brune – la discussion est revenue sur les rails.

 

La quête de l’honnêteté

Il était question du nouvel album, Sounds From Nowheresville, lancé tout récemment. Celui-ci arrivait chez les disquaires presque 4 ans après We Started Nothing, petite bombe dance-punk vendues à plus de 2 millions d’exemplaires grâce aux hits Great DJ, Shut Up And Let Me Go et bien sur, That’s Not My Name.  Pour ceux qui ne se rappelent pas:

« Le premier album s’est fait tout seul. Nous étions cassés, nous n’avions rien à perdre, explique Jules de Martino. Nous nous éclations et la musique n’était qu’un produit dérivé de tout ça. C’est pour ça que c’était si réussi : c’est parce que personne ne nous disait quoi faire ».

Le succès a pris le groupe et son label (Columbia, qui appartient à Sony Music) un peu par surprise.  Mais comme tout groupe à qui tout sourit après un premier album louangé par la critique et les fans, il fallait faire suite à celui-ci… sans la naïveté qui en a fait un succès.

« Pour le deuxième album, tu ne peux pas simplement prétendre d’être encore ce bébé. T’as grandi et ça change tout. Tu dois donc te mettre dans une position où t’as vraiment envie de continuer », explique le batteur et guitariste.

« Le problème, en terme de succès, c’est que plusieurs personnes le font parce que ça devient leur gagne-pain. Et nous, on ne peut pas fonctionner comme ça.  Quand on a fait cet album, nous savions que ce que nous avions commencé à écrire n’était plus organique. Nous avions les moyens de tout faire, nous avions accès à tout. Nous devions nous débarrasser de tout ça. »

 

L’album fantôme 

The Ting Tings avait donc un deuxième album de prêt. Les chansons étaient écrites, tout était en place… mais le cœur n’y était pas.

Jules de Martino. Photo par Catherine Rosa.

Après avoir lancé un premier extrait, Hands (que le duo interprète d’ailleurs sur scène dans la présente tournée), le deuxième album de The Ting Tings s’est arrêté là. Il fallait tout recommencer.

« Nous sommes allés à Berlin, juste nous deux avec un ingénieur de son, raconte de Martino. C’était très difficile : moins vingt-sept degrés dans un pays qu’on ne connaissait pas du tout, après avoir été en tournée pendant 2 ans et demi, constamment entourés de gens. Quand t’es en tournée pendant aussi longtemps, c’est comme Noël à tous les jours. Après ça, juste lire un livre, c’est ennuyant ».

« Ça nous a pris 2 mois juste pour redevenir honnêtes, recommencer à se faire à manger et se demander qui ferait la vaisselle, ce genre de truc de base. Mais il fallait ça pour continuer »

 

Sounds From Nowheresville : Comme un iPod sur « shuffle »

La source d’inspiration la plus « honnête » que The Ting Tings a pu trouver provenait d’un concept anodin, d’une habitude moderne de consommation de musique.

La pochette de "Sounds From Nowheresville"

« Lors de ce processus où nous recherchions notre honnêteté, poursuit de Martino, la seule vraie raison pour laquelle nous ressentions le besoin d’écrire à nouveau, c’était pour réfléchir à notre nouvelle façon d’écouter de la musique depuis 2 ou 3 ans : cette façon aléatoire ».

« Grâce aux MP3, on pouvait voyager à travers le monde et nous partager nos discothèques, pièce par pièce. On se faisait des playlist qu’on s’échangeait. Ça passait de Led Zeppelin à ABBA en passant par Mozart ou MGMT, et c’est devenu très important pour nous. Cet aspect aléatoire nous dynamisait. C’est ça qui nous inspirait à ce moment-là. On s’est dit : ‘Pourquoi ne pas faire un album comme ça, comme si chaque pièce provenait d’un band différent?’»

« Sur ce deuxième album, nous étions obsédés par le hip hop, renchérit Katie White. Pas que nous souhaitions sonner hip hop, parce que ce n’est pas le cas, mais simplement cette mentalité de pouvoir essayer ce que tu veux si t’es hip hop, emprunter de n’importe quel genre de musique. Tu peux prendre de la musique classique et du folk et les mélanger ensemble, alors que si t’es Kings of Leon et que t’essaies de rapper, tout le monde va trouver ça quétaine! »

Voilà qui explique pourquoi des titres aux influences aussi variées se côtoient sur Sounds From Nowheresville : Day To Day est directement influencée des vieux albums que Katie écoutaient lorsqu’elle était adolescente (Jules cite TLC et les Spice Girls !) alors que pour Give It Back, on puisait plutôt chez PJ Harvey, époque Rid of Me.

Pour l’ensemble de l’album, The Ting Tings nomme souvent Paul’s Boutique des Beastie Boys comme point d’ancrage.

Les deux complices sont bien conscients que cette approche en étonnera plus d’un, au risque de perdre des fans en route.

« Je trouve que c’est une bonne chose quand ton album divise les gens, souligne avec enthousiasme Katie White. Mes groupes préférés ont généralement cet effet sur les gens : leurs albums, certains les adorent, d’autres les détestent ».

Dans ce cas-ci, certains adoreront certaines pièces et en détesteront d’autres, à l’intérieur du même album. « Je crois que ça reflète bien la culture populaire, propose-t-elle. Nous sommes si avides d’informations, on doit découvrir tout. On voulait que l’album ait l’effet d’un assaut, comme si c’était trop à prendre en même temps, mais t’en retires ce que tu veux. On ne prétend pas que c’est la meilleure manière de faire un album, mais c’est une façon intéressante et inspirante à tout le moins.»

Est-ce que cette nouvelle approche nous permettra d’avoir de nouveaux titres de The Ting Tings avant 4 autres années?  « Nous savons désormais qu’il faut nous enfermer dans une maison, quelque part, pour devenir vraiment créatifs. Pour le troisième album, nous saurons quoi faire ».

Vos commentaires