Entrevue avec St. Vincent | Daddy’s Home, SNL, le basketball d’Osheaga et la douche d’Arcade Fire
Avec « Daddy’s Home », son sixième album à paraître le 14 mai prochain, St. Vincent retourne à ses racines, à une époque musicale qui précède sa naissance mais qui a bercé son enfance. Elle puise dans le New York du début des années 1970, le soul de Stevie Wonders, le groove détendu de Steely Dan, les vinyles qui tournaient en boucle sur la table-tournante de la maison. Elle a pris un moment avec nous pour nous en parler lors d’un entretien Zoom audio, en direct de Los Angeles.
I just go where the music takes me.
Annie Clark, alias St. Vincent, lance cette phrase toute simple pour expliquer comment elle navigue d’un genre à l’autre, adaptant sa musique à chaque cycle d’album.
St. Vincent explorait jadis un terrain plutôt indie rock à l’époque Actor (2009), avant de se sophistiquer sur Strange Mercy (2011), puis de bifurquer vers un son plus pop sur St. Vincent (2014) et d’aboutir vers une approche art pop plus glam et synthétique sur Masseduction (2017).
Elle confirme la rumeur sans détour : oui, elle a considéré une facture plus heavy cette fois-ci. Certains médias parlaient d’un « album inspiré d’un son à la Tool » qui aurait pu voir le jour. « En effet, j’ai joué dans ces cordes-là pendant un certain temps. Je peux faire de la musique à longueur de journée. Pour moi, c’est facile, ça sort tout seul. Le plus difficile, c’est d’avoir quelque chose à dire, d’écrire des textes qui expriment quelque chose de pertinent et qui cadrent avec cette approche musicale. Dans ce cas-là, je n’avais rien à dire, alors je me suis tourné vers autre chose. »
Comment définir cette « autre chose » ? C’est un groove, une certaine palette de couleurs, des références claires aussi. Elle cite The Royal Scam et Pretzel Logic, deux albums de Steely Dan, ainsi que les classiques Innervisions et Songs in the Key of Life de Stevie Wonder. « Ce style de musique était en moi depuis si longtemps. Je ne crois pas que j’étais qualifiée pour l’aborder jusqu’à maintenant. Il y a tellement de genres musicaux desquels je peux apprendre. Je crois que j’ai enfin les habiletés pour en faire ce que je souhaite en faire, et ajouter, moderniser ce médium. »
La complexité de faire simple
Dès les premières écoutes, Daddy’s Home paraît pourtant tellement plus décontracté et décomplexé que son album précédent, plus chargé. Annie Clark croit tout de même que « c’est plus difficile à jouer que certains autres types de musique, parce que c’est une question d’espace et d’attente. Le temps et la logique sont différents. La palette de couleurs est différente. Le mouvement harmonique est différent. »
Annie Clark décrit aussi son état d’esprit musical sur Daddy’s Home comme une invitation à décompresser :
C’est comme… Assoyons-nous dans un vieux fauteuil en cuir, prenons une tequilla et jasons simplement… Observons le monde suivre son cours, avec tous ses ratés, ses hilarités, ses absurdités et ses tragédies. Et surtout, je voulais écrire à ce sujet, à propos de personnes imparfaites qui font de leur mieux pour se débrouiller, sans jugement ni moralisation ou quoi que ce soit.
On sent que ce sujet la tracasse. La rédemption, le jugement des autres, l’intransigence de notre époque. À ce moment de l’entrevue, on sent son débit ralentir, comme si elle pesait chaque mot, chaque virgule, de peur de gaffer, elle qui a une réputation d’éloquente et de franc-parler. C’est le sujet de son père qui la fait hésiter. En prison depuis mai 2010 en raison de manipulations financières, son paternel a été libéré durant l’hiver 2019, et ce retour au bercail a inspiré certains thèmes de l’album, y compris son titre, évidemment. C’est une histoire toute personnelle que les médias à potins ont révélée au grand jour il y a quelques années, et qu’elle tente de se rapproprier depuis, sans pour autant vouloir en faire le point central de ses entrevues.
« Tous mes albums contiennent des éléments très personnels, mais cette fois-ci, c’est un peu plus autobiographique, souligne-t-elle. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais abordé aussi ouvertement, mais c’est devenu une partie intégrante de mon histoire en ce qui concerne les médias. » Résignée à devoir aborder le sujet à chaque entrevue tout en se montrant prudente, elle résume sa pensée du mieux qu’elle peut sans s’étaler : « La vie est longue, les gens sont compliqués… Il existe toute sorte de possibilités pour des choses comme la rédemption, le pardon et l’envie de tourner la page. Comme pour tous mes albums, j’avais envie d’écrire au sujet de l’expérience humaine avec humour et compassion. »
SNL, Osheaga et Arcade Fire à l’Aréna Maurice-Richard!
On n’a pas vu St. Vincent se donner en spectacle virtuel comme bien d’autres artistes au cours des quatorze (pénibles) derniers mois.
Pour se faire une idée de l’orientation des spectacles éventuels de St. Vincent, on pouvait toutefois se tourner vers la populaire émission américaine Saturday Night Live, il y a quelques semaines, où elle a joué deux nouvelles chansons, avec son nouveau look un peu pimp, perruque blonde et bijoux ostentatoires. « C’était du nouveau matériel, avec des nouveaux musiciens avec qui je n’avais jamais joué auparavant. On s’est réunis environ 8 jours avant SNL, et quelques pratiques plus tard, on était en direct à la télé! C’était un cours intensif, mais man, ça m’a donné tellement de vie et d’énergie! Ce band est tellement bon. Ça m’a donné cette énergie qu’on retrouve seulement en jouant de la musique avec d’autres gens. Il n’y a rien de pareil. »
Est-ce que cette perfo est représentative de ce qu’on risque de voir sur scène lors de son éventuelle tournée? Dur à dire. En mode « promo d’album », elle se fait plutôt avare de commentaires au sujet des spectacles… sauf lorsqu’on aborde ceux du passé!
Sors-tu.ca : « Te rappelles-tu de ton tout premier spectacle à Montréal, en 2007, en première partie d’Arcade Fire? »
St. Vincent : « Oh mon Dieu, oui! Mon premier album n’était pas paru, et c’était mon plus gros show en carrière à ce moment-là. Je n’avais pas encore de band vraiment. J’ai rassemblé des musiciens pour faire des shows, et soudainement, je me retrouvais en première partie d’Arcade Fire qui était le plus gros band au monde… à Montréal, d’où ils viennent! Certainement que je m’en souviens, j’étais terrifiée! Mais c’était fantastique! »
Elle poursuit : « C’était dans un aréna qui a été bâti pour les Olympiques, non? » Pas exactement, mais elle n’a pas tout faux : l’Aréna Maurice-Richard se situe en effet juste à côté du Stade Olympique.
« Je te jure, j’y pensais hier… J’enregistrais un truc dans un espace très caverneux. Et je me souvenais de ce show précisément, raconte-t-elle, emballée par son anecdote. Arcade Fire se rechauffait avant le show, ils pratiquaient dans les douches qui étaient très caverneuses, et je les entendais à travers les murs. Le groupe au complet qui chantait ensemble! Et ce son de tuiles, de béton… Imagine Arcade Fire chanter à travers un mur de douche de hockey! C’est un son que je n’oublierai jamais. »
Si elle se souvient de son tout premier show à Montréal, elle se rappelle aussi du plus récent : à l’été 2018, à Osheaga. Une autre anecdote lui vient en tête. « Il y avait un terrain de basketball en arrière-scène. Plus tôt dans la journée, un de mes techniciens est allé pratiqué sur cette anneau de basket. Mais personne n’avait mis de poids au pied du panier. Donc il a dunk et tout est tombé sur lui… Il a dû se rendre à l’hôpital. Alors j’arrive à Osheaga, et on me raconte cette histoire, avec toutes les inquiétudes que tu peux imaginer : a-t-il une commotion cérébrale, est-il blessé sérieusement, etc. » [n.d.l.r.: finalement, non.]
« Plus tard dans la journée, je jouais à mon tour. À l’école primaire, je jouais pas mal au basketball. Alors je jouais en arrière-scène avec des techniciens et des musiciens de divers bands, et on faisait des petites parties à 5 contre 5. Imagine la scène, je jouais en mocassins Celine en cuir de chèvre, parce que je n’avais pas d’autres chaussures! Mon gérant de tournée venait me dire : « Il faut que tu te prépares pour le show! ». Et moi : « Oui oui j’arrive! » J’ai marqué un buzzer beater [un panier in extremis en toute fin de partie], on a gagné, et je suis allé faire le show! »
On verra bien si sa prochaine présence à Montréal — dont Annie Clark se garde bien de nous partager les détails — fera naître d’autres anecdotes du genre!
En attendant, Daddy’s Home, son 6e album en carrière, sera disponible le 14 mai prochain.
Bonus : St. Vincent nous parle de la pertinence de sortir son album… en cassettes et en 8-pistes!
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