Entrevue avec Shawn Jobin | Assumer son monde pluriel
Shawn Jobin a enfin érigé son Colisée. L’artiste de 32 ans a lancé presque par surprise son quatrième long jeu, Colisée, au début du mois, conciliant pour de bon les deux univers qui l’habitent depuis des années : le rap et l’électro. Ce nouvel opus, son premier depuis 2021, représente un tournant majeur dans sa vie, autant sur le plan artistique que personnel. Jobin, longtemps associé à la scène francophone de la Saskatchewan, est revenu s’installer au Québec récemment pour aller chercher de nouveaux horizons. Entrevue.
« J’ai jamais fait du rap punchline, j’ai tout le temps préféré une approche presque plus près de la chanson, dit Shawn Jobin au bout du fil. Qu’est-ce qu’on laisse vraiment derrière, parce que le concept de l’album, c’est un peu ça : qu’est-ce qu’on laisse vraiment derrière en tant que créateur et créatrice dans un monde de plus en plus éphémère? J’avais envie d’avoir une représentation presque monumentale, qui est symbolique de quelque chose d’intemporel et de solide. »
Des fois il faut juste réaliser que la réalité est assez, que ce que tu vis en ce moment, c’est assez. Tu ne peux pas tout le temps te projeter dans des conditions meilleures, parce que c’est là que tu te perds un peu.
* Shawn Jobin aux Francouvertes, en 2017. Photo par Shanti Loiselle.
Le projet est ancré dans le présent, donc, dans le vrai, le palpable. Ayant passé le cap de la trentaine depuis peu, Jobin a créé ce nouvel opus à partir de maquettes accumulées en tournée, écrites sur le coin de la table et finalisées dans la dernière année. Colisée, pièce-titre de l’album éponyme ouvrant le projet, débute de la sorte : « J’ai l’impression que ça fait quelques années / Que j’évite d’écrire le fond de mes pensées. »
Dans une période ponctuée de changements, Jobin préfère s’y confronter en embrassant la transition, prenant une photo, figeant l’instant de sa nouvelle manière de créer sans pour autant faire du sur place.
« J’ai réappris un peu à, pas aimer le rap, mais à avoir une espèce de relation avec mon art. J’ai de l’expérience, j’arrive avec quelque chose de plus solide en termes de confiance. Veux, veux pas, ça fait dix-sept années que je fais ce métier-là. La vingtaine est remplie de doutes, mais je suis arrivé dans un âge où je me dis que, ce que j’ai, c’est super. »
Une dose de rap, une autre d’électro
En plus de sa carrière de rap, Shawn Jobin cultive un autre jardin qu’il affectionne tout autant : la musique électronique. En plus de son duo Faux Soleil (avec David Robquin/Squerl Noir), l’artiste a assuré de nombreux DJ sets, surtout lorsqu’il vivait encore à Saskatoon. Dans le Canada anglais, Jobin était même plus connu derrière les platines que pour sa prose derrière le micro.
La musique électronique d’autant plus assumée dans Colisée, ses tendances house, rave et techno, ce n’est pas un virage pur et dur, ce n’est pas un Shawn Jobin frais qui vient juste d’éclore. Cette facette musicale a toujours existée en lui, et l’artiste se réjouit d’avoir enfin l’audace de concilier ces deux mondes sur son petit dernier.
« J’ai un projet en parallèle qui se développait constamment, et tout le temps, mon premier réflexe, c’était de me dire “essaie pas d’étendre ce projet plus underground, cette vie-là dans celle-là, parce que le monde ne va pas comprendre, ça va être dilué”, avoue Shawn Jobin. C’était pas une dichotomie, mais une espèce de crise identitaire au niveau de moi. Aujourd’hui, je ne joue plus à ce jeu-là, poursuit-il. Pourquoi est-ce que je devrais cacher ça de moi, Shawn Jobin? Tant que le projet rap, entre guillemets, en profite. »
Shawn Jobin, bien que Québécois de naissance, ne s’est jamais vu apposer l’étiquette de « rappeur kebz », ne vivant sur le territoire pour une majorité de sa carrière. Sur sa chanson SO FAR SO GOOD, il lance, d’un point de vue presque extérieur, une sorte de pique envers l’industrie locale hip-hop : « Le rap conscient est mort / En Amérique du Nord / Et ceux qui l’ont tué / Veulent parader son corps / De Montréal à L.A. »
« C’est une prise de position pour faire justement justement un peu réagir. C’est pas un fait, c’est plus une observation que moi j’assume. Je veux pas être perçu comme un gars qui est nostalgique d’un rap old-school, dire à tout prix “c’était mieux avant”. Mais je trouve qu’il y a moins de place à des trucs réfléchis et conscientisés, dit Shawn Jobin. C’est pour dire qu’on a tué la conscience qu’on a dans nos textes pour refléter une industrie américaine qui, elle, glorifie plus l’égocentrisme et le matérialisme. On essaie de vivre un rêve américain, mais à l’échelle du Québec ou du Canada français. Et il y a quelque chose là-dedans qui ne fit pas, »
Sur son unique chanson en collaboration de l’album, Shawn Jobin a décidé de s’attacher les services de Jono, plutôt inconnu du bataillon, sur Nouveau hood, parlant de changer « d’heure, d’air et de neighbourdhood ». Jono est un rappeur acadien originaire du Nouveau-Brunswick, vivant aujourd’hui à Edmonton. Sa situation, comme celle de Jobin, partageant sa vie entre la Saskatchewan et le Québec, se reflétait bien les propos de la chanson, d’après l’artiste.
« Tu te déracines pour aller t’enraciner ailleurs, c’est différent, c’est compliqué, souffle Jobin. Cette perspective-là, je la trouvais très cool, fait que j’ai demandé [à Jono] d’avoir cette représentation de ce rap-là qui existe, ce rap acadien. »
« À défaut d’avoir notre propre scène, un peu comme le rap keb, il y a une solidarité qui existe entre francophones hors Québec, entre Canadiens français. J’ai commencé à faire du rap en Saskatchewan, j’avais 14-15 ans, ça n’existait pas et j’étais tout seul, continue-t-il. Quand j’ai commencé à plus voyager et à aller à l’extérieur, en Alberta, Manitoba, ou dans l’Ouest canadien, j’ai commencé à rencontrer des artistes, des rappeurs qui faisaient de la musique en français et qui commençaient. J’ai toujours essayé de faire de la place à ces gens-là dans mes projets, soit en tournée, soit sur album. »
- Artiste(s)
- Shawn Jobin
- Catégorie(s)
- House, Rap/Hip-hop,
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