Entrevue avec Monarque | Ardente Dévotion

L’horloge infernale sonne. Funestes augures. Ses blanches pupilles s’ouvrent. « C’est l’heure du retour ». Le Diable l’attend, les lourdes clés du monde terrestre à la main. « Va, ordonne le Malin, et chante la puissance du désespoir. Honore de nouveau les incantations sacrilèges.» L’ambassadeur diabolique, lourd de haine et de souffrances, sort du gouffre après cinq ans de repos. Monarque, figure du black métal québécois, est enfin de retour. Entretien avec un Blasphémateur.

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Ça fait donc cinq ans que tu n’as pas foulé les planches. Pourquoi reviens-tu maintenant?

Parce que je me le suis fait demander à répétitions! Les gens insistaient beaucoup. Et je me sentais prêt aussi. J’ai créé comme un carcan pour respecter mon concept, et ça a joué dans le rôle du break. J’étais un peu blasé, j’avais besoin de composer autre chose, d’explorer d’autres thèmes. Le fait d’avoir pris une pause m’a permis de me ressourcer, et maintenant, je me sens à nouveau bien dans l’univers que j’ai créé. Il a pris beaucoup d’expansion, et j’avais besoin de décrocher.

Dans une entrevue précédente, tu as mentionné revenir sans nouvel album. Enfin, de démos. Tu as trois albums complets, et beaucoup de démos et d’EP. Pourquoi autant de petits projets?

C’est un trait de personnalité que j’ai. Lorsque je crée quelque chose de nouveau et que je suis satisfait, je veux le partager. Je ne suis pas très patient, je ne suis pas le genre à prendre deux ans pour travailler sur un album de dix morceaux. J’aime les petits releases. Au pire, les gens vont l’écouter deux fois, mais ils vont tripper. Un album, ça s’essouffle, c’est trop long. Tous mes petits projets sont comme une photo d’un moment précis dans le temps. Si on étire trop un travail, ça devient moins représentatif. On change d’émotions, de perception.

Le black métal est une musique spirituelle pour moi.

Tes compositions abordent beaucoup les thématiques du diable et de la mort. C’est collé au black métal traditionnel. Est-ce volontaire?

Lorsque j’ai commencé le projet, je le voyais comme un hommage aux racines, à la naissance du mouvement. Aussi, selon moi, quand on fait du black métal, on a un certain code à respecter. Si on s’éloigne trop du code, ça devient autre chose. J’aime bien les classiques, je suis assez conservateur à ce niveau-là. J’écoute quand même plein de genres musicaux différents, de choses éclatées qui n’ont rien à voir avec le black métal. Mais pour respecter l’univers du black, il y a un code, des thèmes, un type de son, des riffings.

Les thématiques du diable et de la mort sont présentes en partie pour cette raison-là. Et puis, y a-t-il quelque chose de plus universel que la mort? C’est quelque chose de pur et de fascinant depuis que le monde est monde. Si on parle des fleurs par exemple, on ne peut pas aller chercher la même puissance.

Mais je ne pense pas chanter le diable éternellement. Je vais me diriger vers des thèmes plus universels, mais quand même morbides. C’est très symbolique, et je peux faire des liens avec d’autres cultes religieux, d’autres divinités obscures.

Dans ta démarche, le rapport au divin est donc important?

Le black métal est une musique spirituelle pour moi. Le divin peut être très vaste. Mais ultimement, oui, le rapport au divin est important.

La langue semble aussi occuper une place de choix dans ton univers. Accepterais-tu de chanter en anglais si Monarque devient mondialement connu?

Non, jamais. Si je chante en anglais, c’est parce que c’est une chanson de quelqu’un d’autre. Le français fait partie de mon concept depuis le début, et ça va l’être ad vitam aeternam. C’est un côté identitaire de la scène québécoise que je veux mettre de l’avant.

Parlant de la scène québécoise, as-tu continué à suivre la scène pendant ton absence sur scène?

J’ai toujours été là! Je possède un label, Les Productions Hérétiques. J’ai sorti des démos de certains groupes. J’ai aussi un projet qui s’appelle Déliquescence, pour lequel on a sorti un démo.

Pendant la dernière année, j’étais vraiment à off par contre. J’ai coupé plusieurs ponts, j’ai fait du ménage dans ma vie. Maintenant, je reviens et je me sens bien. Je me sens à ma place. J’ai un nouveau projet qui s’appelle Sanctuaire, pour lequel j’ai sorti des cassettes, dont une nouvelle en avril. Je sors aussi une compilation des démos du groupe Esker. C’est l’un des plus vieux groupes black métal québécois, mais le band n’existe plus maintenant. Je veux faire vivre notre scène, même si des groupes sont dissouts. Ils doivent encore se faire entendre.

Qu’est-ce qui distingue Sanctuaire de Monarque?

Pour Sanctuaire, le thème est plus large et axé sur le paganisme, incluant le satanisme. Musicalement, c’est moins sombre. Les thèmes sont plus lumineux, sans que ce soit cheesy.

Aussi, je ne me mets pas de barrière musicale, donc j’explore des paysages plus ambiants, plus électro. Éventuellement, je voudrais toucher au néo-folk, et l’intégrer dans le projet. Mais je ne suis pas encore rendu là. Donc, la racine est encore très métal, mais c’est différent d’un release à l’autre.

Et qu’est-ce que tu penses de la scène métal québécoise, telle qu’elle est aujourd’hui?

Il y a beaucoup trop de groupes. Ils sont beaucoup, mais ils tombent vite. Les piliers vont rester, les gens qui sont passionnés et dévoués dans ce qu’ils font. Et ça parait sur scène, ça parait dans le temps qu’ils mettent pour élaborer la pochette, pour polir leurs textes, pour travailler les riffs.

L’accessibilité de faire de la musique donne une voix à des gens qui, il y a vingt ans, n’en aurait pas eue, parce que leur matériel n’est pas bon. Beaucoup de projets sont bidons. Je pense qu’il y a encore beaucoup de bons groupes inconnus, ou émergents, qui méritent de se faire connaitre. Et on le sent. On sent quand les gens ont donné du temps et ont de la dévotion pour ce qu’ils font. Ça se sent dans la musique, ça t’interpelle. La dévotion, ça amène un tri naturel je pense.

Je suis d’avis que l’élitisme va de pair avec le black métal jusqu’à un certain niveau. Cette culture a toujours été désireuse de rester en marge du genre métal en général.

Tu parlais de cassettes. Tu sembles aimer les vieux supports, Qu’est-ce que ces formats-là apportent de plus à la musique?

L’aspect nostalgique. J’ai grandi en copiant des cassettes. Il y aussi l’aspect rituel. Lorsque le vinyle est terminé, on doit se lever pour aller le tourner. On doit faire le geste, et prendre le temps de l’écouter. C’est plus que seulement mettre un bruit de fond. Le rituel donc, et aussi les artworks, qui sont énormes. Ils sont plus importants par leur grosseur, mais aussi par leur qualité, lorsque c’est bien fait. Les gros livrets, les vinyles colorés, tout ça peut être capoté! Et pour la cassette, c’est vraiment la nostalgie. Je dirais que ça a une énergie primaire. C’est difficile à expliquer, mais j’affectionne beaucoup ce support-là.

Le fait de produire des démos sur des vieux formats restreint l’audience. Si tu veux écouter la cassette, tu dois avoir un tape deck. Ça reprend la notion de dévotion. Est-ce que ta passion est tangible, est-ce que tu la vis? Si tu veux vraiment écouter mon démo, tu dois trouver un tape deck, tu dois faire un effort pour l’écouter. C’est une dimension sectaire qui va avec l’élitisme, avec la scène black et l’underground.

Est-ce que ça prend une élite dans le black métal ?

Je suis d’avis que l’élitisme va de pair avec le black métal jusqu’à un certain niveau. Cette culture a toujours été désireuse de rester en marge du genre métal en général. Elle est née de cette façon. À l’époque aucun album ne sonnait comme celui de son voisin, on échangeait ses cassettes copiées avec des camarades soigneusement sélectionnés que l’on connaissait bien ou avec qui on échangeait des lettres. J’ai déjà dit dans une autre entrevue que les cœurs les plus noirs sauront se reconnaitre entre eux. Et bien il s’agit de partager un art qui nous passionne avec ceux qui pourront le comprendre.

Le black métal a un volet très individuel, et lorsqu’on en « sort », c’est pour le faire vivre à des personnes qui peuvent s’approprier une partie de cette individualité, qui devient souvent spirituel, et le vivre à leur façon. Attention, je ne dis pas que j’étais dans le inner circle norvégien en me référant à la naissance de la scène là-bas, mais par nostalgie et volonté de restreindre l’accessibilité aux masses, je valide que ce genre de tradition existe encore dans l’underground. Même les lettres manuscrites à l’ère du clavier et de Windows.

Le temps consacré à la réalisation d’un morceau, d’un album, sa pochette, le choix de son image, du format audio visuel, tout cela noué avec une intense passion pour cet art corrobore un certain élitisme. Pourquoi est-ce que j’échangerais ma démo qui m’a demandé des heures de travail, énormément de dévotion, avec un groupe qui a fait un album « pour rire », qui a une pochette « à la Slipknot » ou encore qui veut simplement avoir le plus de likes sur Facebook possible. Ça n’a aucun sens pour moi. Dans cette optique, oui, je suis élitiste et le black métal a besoin de ce « filtre », maintenant plus que jamais.


 

 

L’hérétique Monarque montera sur les planches de l’Anti Bar & Spectacles ce samedi 9 avril prochain, afin de conduire un rituel pour ses suppôts de la Vielle-Capitale. Il portera de plus la Macabre Nouvelle jusqu’en France, où il participera au Ragnard Rock Fest au cours de l’été. Serait-ce un point de départ pour une tournée sur le vieux continent? Rien n’est encore décidé. Monarque attend toujours les nouvelles des Enfers de ce côté-là.

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