Joseph Edgar

Entrevue avec Joseph Edgar: L’Acadien montréalisé

Avec plus de 20 ans de carrière sous le chapeau, le sympathique chanteur folk rock acadien Joseph Edgar faisait paraître cette semaine un 4e album solo, intitulé Interstices. Cette fois, les astres sont alignés: bien implanté à Montréal avec la formation The In’n’Outs pour musiciens et Joe Gagné (Breastfeeders) à la réalisation, les portes du succès semblent être grandes ouvertes pour Joseph Edgar.

Jadis leader du groupe rock Zéro Degré Celsius dans les années 1990 et 2000, la carrière de Joseph Edgar a connu des hauts et des bas, comme tout artiste durable. Signé sous l’imposante bannière Warner Music (qui en menait large à l’époque), Zéro Degré Celsius jouait dans la cour des grands et faisait sa marque en proposant un rock acadien qui détonnait du paysage plutôt folk de la chanson acadienne.

La pochette de "Interstices", de Joseph Edgar.

Quand Joseph Edgar a entrepris de poursuivre son chemin seul, il a opté pour une approche plus folk et une carrière plus modeste. « C’était un choix. J’étais conscient qu’en faisant tout de façon très indépendante, en restant par chez nous en Acadie, c’était ça le rayonnement que mes disques allaient avoir. Ç’a continué à cheminer mais pendant la dernière année et demi, ma carrière a pris un envol assez incroyable ».

Cette montée coincide avec l’appel de la Métropole québécoise qui se faisait sentir. Déjà engagé dans une relation flirt avec Montréal, des liens de plus en plus étroits avec des personnes clés du milieu se sont tissés par ici, à commencer par la rencontre du groupe The In’n’Outs. « Le guitariste (des In’n’Outs, David Groover), c’est le neveu du  meilleur ami d’un des plus grands poètes de tous les temps de l’Acadie, Gérald Leblanc. Quelqu’un m’avait fortement suggéré d’aller les voir en show. Ils sont ensuite venu voir le mien et on s’est revu à quelques reprises ».

Alors accompagné par le groupe Les Paiens (une formation jazz-rock acadienne constituée d’amis de longue date), Joseph Edgar a du faire appel aux In’n’Outs pour l’accompagner lors de son passage aux Francofolies de Montréal en 2009. La chimie a aussitôt opéré.  « Ils sont venus ranimer tout le sens rock de ma musique, que je n’avais pas perdu mais que j’avais mis de côté parce que je ne voulais pas que les gens comparent mon matériel solo avec ce que je faisais avec Zéro Degré Celsius. Mais d’un album à l’autre, le rock voulait sortir de plus en plus. »

En plus des In’n’out, Joseph Edgar a aussi fait la rencontre de Jocelyn Gagné, des Breastfeeders, à La Fayette, lors du Festival International de Louisiane. Encore une fois, un Montréalais se montrait intéressé à travailler avec l’artiste acadien. « J’avais la possibilité de travailler avec un réalisateur en France, mais je m’en serais voulu de ne pas approcher Joe (Gagné). Alors je l’ai fait, il a accepté tout de suite, et ç’a été comme un gros coup de hache. Là, c’était vrai, je m’en venais m’installer à Montréal! »

 

Le contexte idéal pour un francophone hors-Québec

Peu après son arrivée officielle dans la Métropole, les opportunités du réseau québécois ont porté fruit pour lui: participation au Festival de la chanson de Granb, au ROSEQ, à RIDEAU.

De l’avis même du principal intéressé, la réceptivité du public québécois envers des voix francophones non-québécoises n’a jamais été aussi favorable. « À force d’entendre cet accent-là à la radio, c’est devenu moins exotique ou ethnique. C’est une sonorité avec laquelle les gens sont de plus en plus familiers. Ça permet une certaine ouverture ».

Fier de ses racines, Joseph Edgar n’a jamais trouvé sa voix dans la chanson acadienne identitaire, tendance lourde chez les artistes francophones des provinces de l’Atlantique. « Je n’ai jamais été un flag waver, comme on dit. En même temps, je comprends ceux qui le font de le faire: c’est un petit marché, une petite population. Ceux qui cherchent pour les moutons noirs de la musique par chez-nous, il n’y en a pas beaucoup ».

Il estime toutefois que l’arrivée de Radio Radio, qui « défonçait les préjugés à grands coups de pied dans le mur », arrivait juste à point. « Avec Zéro Degré Celsius, au début des années 2000, on avait un peu changé l’image de ce qu’on pouvait faire comme chanson en Acadie. Il y a eu un creux ensuite, et puis il y a eu Radio Radio il y a quelques années, et là, avec Lisa LeBlanc qui gagne le festival de Granby et Geneviève Toupin qui lancera quelque chose cette année, je crois, on sent que quelque chose décolle. Et moi, je reviens sur la vague ».

Ces deux dernières collaborent d’ailleurs à l’album de Joseph Edgar, LeBlanc prêtant banjo et voix à Chemin connu et Ne t’en fais pas, alors que Toupin harmonise sa voix sur pas moins de 7 titres.

 

Dans le fossé, comme Neil Young

En écrivant les chansons qui allaient paraître sur Interstices, Joseph Edgar puisait son inspiration du côté du vétéran chanteur folk canadien Neil Young. Le titre de nouveau disque lui aurait d’ailleurs été inspiré par le célèbre « Parrain du grunge ». « J’ai lu une citation de Neil Young qui disait qu’après avoir fait Harvest – alors qu’il aurait pu devenir tout à fait mainstream – il a dit: ‘I wanted to head to the ditch, because in the ditch, there are a lot of more interesting people’ « .

C’était d’ailleurs cette série des 3 albums qui ont suivi Harvest, collectivement reconnus comme la « Ditch trilogy » , qui inspirait davantage Edgar:  Time Fades Away (1973), On The Beach (1974) et Tonight’s The Night (1975).  « Ce sont des albums imparfaits à la base, mais avec un soul, un feeling et des sonorités très intéressants. J’avais en tête d’éviter les sonorités parfaites, je voulais vraiment rentrer dans le vrai, et je me disais que je devrais appeler mon album Dans le fossé. Mais il y en a dans mon entourage qui croyaient que les gens le percevraient négativement »

L’artiste poursuit sa réflexion sur cette idée du fossé: « Le fossé, c’est là où, au printemps à la fonte des neiges, tu conduis sur l’autoroute, tu regardes, et c’est laid: il y a toute sorte de vidanges qui ont été garrochés par la fenêtre pendant l’hiver. Mais c’est aussi là qu’on voit les premières fleurs, les premières quenouilles. Ça fait un beau mélange entre le laid et le beau de la vie. Ça se liait très bien aux chansons et à mon état d’esprit au moment de les écrire ».

C’est la graphiste de sa pochette Noémie Darveau qui lui a suggéré « interstice » comme synonyme plus doux pour « fossé ». « J’ai été voir dans le dictionnaire et ça veut aussi dire un petit intervalle d’espace ou de temps. C’est aussi la période de temps des grands sacrements dans les religions, comme les interstices d’âme. Il y avait beaucoup trop de thématiques qui se rejoignaient avec l’ensemble de l’album. J’avais mis le doigt dessus ».

Le concert de lancement de Interstices aura lieu ce soir, au O Patro Vys, à Montréal. L’entrée est gratuite. Joseph Edgar travaille également sur ses liens avec le public européen. Il retournera dans le Vieux continent cet été pour une cinquième tournée.

 

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