Émile Proulx-Cloutier au Centre des arts de Shawinigan | L’art de l’instant, entre chanson et théâtre
Émile Proulx-Cloutier était de passage le 31 janvier dernier au Centre des arts de Shawinigan avec son plus récent spectacle Ma main au feu – Solo, une performance qui transcende les formats habituels du tour de chant. Entre poésie brute et mise en scène millimétrée, il a offert une soirée où chaque mot, chaque silence, chaque variation lumineuse participait à une narration immersive.
Dès l’entrée en scène, le ton est donné. Un simple piano, un éclairage dépouillé et un artiste qui capte instantanément toute l’attention du public. Émile Proulx-Cloutier n’est pas qu’un chanteur : il est conteur, acteur, metteur en scène de ses propres textes. Un héritage direct de sa formation théâtrale, qui lui permet d’infuser ses chansons d’une intensité dramatique rare.
Un voyage entre tendresse et vertige
Tout commence par Petite Valise. C’est bel et bien un voyage auquel sont conviés les spectateurs. La voix est juste (dans tous les sens du terme), le son est bon, la route sera plaisante malgré les 2 h 30 du trajet, et la destination, encore inconnue, est porteuse d’espoir. Vient ensuite Ma tête mal faite, un morceau qui, sur album, est richement instrumentalisé, mais qui, sur scène, se transforme en un monologue aussi burlesque que vertigineux, quelque part entre le stand-up et le théâtre. Déjà, par ses rires francs, ses élans d’enthousiasme quand il le faut et ses silences respectueux quand il se doit, on sent que le public est au diapason de l’artiste, et ça ne fait que commencer.
L’alternance entre morceaux énergiques et balades introspectives permet à Émile de maintenir une tension dramatique constante. La mise en scène est sublime et d’une simplicité efficace. Les jeux de lumières sont connectés aux propos. À titre d’exemple : frissons garantis pour cette scène où, debout derrière le piano, il narre Cargaison, une chanson sur le mal-être et la reddition d’un de ses amis face à la vie. L’impact visuel de la scène évoque un homme au bord du gouffre.
Le suicide, est-ce baisser les bras face au hold-up qu’est la vie ? Ce spectacle ne propose aucune réponse. Il pose des questions. Et le spectateur doit opérer une introspection face à autant de beauté poétique.
Mais loin de sombrer dans la gravité pure, le spectacle trouve constamment des respirations. Car Émile a le don d’alterner entre gravité et humour, entre colère et espoir. Le grillon et la luciole est l’exemple parfait de cette oscillation.
Une œuvre vivante et mouvante
Dans une entrevue accordée avant le spectacle, Émile Proulx-Cloutier évoque son rapport à la scène avec une clarté qui explique toute la richesse de sa proposition artistique. « Pour moi, la scène n’est pas une simple reproduction de l’album. Ce sont deux œuvres distinctes. J’ai besoin de réinventer mes chansons, de déconstruire leur structure et de les adapter à l’instant présent. » Une philosophie qui se ressent pleinement dans sa performance : jamais figée, toujours en mouvement.
L’artiste met d’ailleurs un point d’honneur à éviter l’approche du « tube incontournable », préférant raconter ses chansons comme si c’était la première fois. Il refuse l’idée du « message à livrer » et préfère poser des questions plutôt qu’apporter des réponses toutes faites.
« Mon but n’est pas d’indiquer comment penser. Ce qui m’intéresse, c’est d’emmener l’auditeur au bord de la contradiction, de lui faire ressentir deux vérités irréconciliables… et pourtant, toutes deux justes. » Une vision qui se reflète dans ses textes, où la précision des images laisse toujours place à une interprétation multiple. Un chanteur à message ? Il serait réducteur de le décrire ainsi. C’est un lanceur de bouteilles à la mer, et le message, c’est celui qui trouve la bouteille qui peut en faire un mantra personnel.
Nostalgie de l’enfance
Le reste du spectacle est beaucoup axé sur la nostalgie de l’enfance, celle d’Émile et celle de ses propres enfants. Le temps qui fuit et le côté lyrique qui s’en échappe, mais avec toujours une lueur d’espoir au bout du chemin.
L’écho des grands conteurs
Il n’est pas étonnant que l’univers d’Émile Proulx-Cloutier rappelle celui de Richard Desjardins. Tous deux partagent un goût pour l’écriture ouverte, où chaque auditeur peut projeter sa propre lecture. « J’aime l’idée que chacun trouve sa propre clé d’interprétation. Quand une image est précise, elle résonne d’une manière différente chez chaque personne. » Un principe qu’il applique à ses propres textes, cherchant à créer des chansons qui parlent autant à l’intellect qu’à l’émotion.
Sa chanson Force Océane illustre parfaitement cette approche. Inspirée par un inconfort face aux discours affirmant que le féminisme serait dépassé, elle évite l’écueil du manifeste frontal pour préférer une métaphore fluide et puissante. « Je voulais parler de cette force sans tomber dans le pathos ou l’hommage solennel. J’ai choisi l’image de l’océan, parce qu’il incarne cette puissance insaisissable, indomptable. »
Un spectacle qui marque
Ce qui ressort de cette soirée, c’est la rare capacité d’Émile Proulx-Cloutier à marier l’intellect et l’émotion, la profondeur et la légèreté. Il ne donne pas simplement un concert : il invite le spectateur à un voyage intérieur, à une réflexion sur lui-même et sur le monde. Sa voix porte des histoires, mais surtout des instants de vérité, de ceux qui persistent bien après la dernière note.
Ceux qui ne connaissaient pas encore l’artiste en sont sortis conquis. Ceux qui le suivaient déjà y ont trouvé une confirmation éclatante de son talent unique. Un spectacle à la fois poignant, lumineux et d’une richesse rare. Vous l’aurez compris, ce spectacle renverse les gens, et Émile a charmé le public par sa gentillesse, son humour, et il les a émus par son rapport à l’enfance. Ce spectacle, c’est l’Alerte AMBER pour retrouver l’enfant perdu… au fond de soi.
- Artiste(s)
- Émile Proulx-Cloutier
- Ville(s)
- Shawinigan
- Salle(s)
- Centre des arts de Shawinigan
- Catégorie(s)
- Chanson, Francophone, Québécois,
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Symphonique | avec l'Orchestre symphonique de Québec dirigé par Julien Proulx
Lieu : Salle Louis-Fréchette -
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