Édito | La critique, quosse ça donne ?
Appelé à participer au dossier « Tout le monde est critique » du blogue Ma mère était hipster, notre rédacteur en chef Marc-André Mongrain s’est prononcé sur sa vision de la critique culturelle à l’heure des blogues et la définition (souvent floue) du rôle du critique.
J’ai fondé Sors-tu.ca un peu par accident, avec deux collègues (plus doués pour l’informatique que l’écrit), en mai 2010. En peu de temps, des passionnés de musique relativement doués en rédaction nous ont proposé d’ajouter leurs écrits aux miens, si bien qu’en quelques mois, l’humble blogue désorganisé que nous avions créé sans grandes attentes s’est transformé en webzine plus structuré.
Afin de survivre et d’intéresser un certain lectorat, Sors-tu.ca s’est donné pour mission d’informer les « Sorteux » des événements culturels à venir à Montréal et Québec. Mais l’occasion était aussi bonne pour faire la part belle à mon dada personnel : la critique (de concerts, d’albums, de pièces de théâtre et de spectacles d’humour).
C’était un retour aux sources pour l’ex-journaliste-devenu-rédacteur que j’étais.
De dire que le rôle de la critique s’est métamorphosé depuis l’arrivée d’Internet est un euphémisme. Fut un temps pas si lointain – oui, je suis suffisamment vieux pour utiliser cette tournure de phrase – où les critiques devaient être engagés par des organes de presse sérieux et contingentés afin d’exercer leur jugement sur une œuvre et en publier le résultat pour un lectorat.
La structure d’une équipe de rédaction venait aussi avec son lot de principes éthiques et de responsabilités. « Ne publie jamais des propos que tu n’aurais pas le courage de lire à l’artiste concerné » m’a déjà averti ma rédactrice en chef, chez le défunt Voir Ottawa-Gatineau. Un conseil que je n’ai jamais abandonné, même après ma transition vers les médias web.
La venue des Internets a ouvert toute grande la porte à la diversification des points de vue et des plateformes de diffusion, favorisant du coup la prolifération de blogues de qualité et de pertinence diverses. Le concept même « d’expertise culturelle » en a pris pour son rhume, brouillant davantage la mince ligne entre l’analyse et le « moé-je-pense-que ».
Pourtant, j’ai toujours eu à cœur le principe selon lequel la critique n’est pas qu’un simple avis. N’en déplaise à ceux qui « ne sont jamais d’accord avec les maudits critiques », il s’agit néanmoins d’un exercice d’analyse journalistique délicat, mais important et surtout, pertinent. Plus que jamais pertinent.
Dans le domaine musical, en particulier, la variété n’a jamais été aussi abondante et les radios commerciales ne font plus la loi comme jadis. Les critiques deviennent ainsi des guides dans cette jungle moderne.
Mais pourquoi seraient-ils davantage des guides pertinents que n’importe quel autre adepte de culture ? C’est là où la question de l’expertise culturelle est importante. Une expertise s’acquiert 1) en étant « nerd » d’un sujet, pour ne pas dire obsédé, 2) en se dédiant à ce sujet afin d’en acquérir le plus de connaissances et 3) en pratiquant à répétition l’exercice de communiquer efficacement le résultat de son jugement. Répéter, répéter, répéter, tout en ouvrant les horizons au gré de la curiosité. Au fil du temps, une expertise se forme.
Ainsi, un critique pertinent sert à la fois à informer, porter à la réflexion (voire même à la discussion, à l’ère d’Internet et de sa culture des commentaires) et à fournir des codes permettant de percevoir, de comprendre et d’imaginer une œuvre sous un angle plus profond.
Contrairement à ce qu’on lui reproche souvent, le rôle du critique n’est pas de se contenter de trancher de façon manichéenne entre bon ou mauvais, comme s’il détenait une vérité incontestable, mais plutôt de comprendre pourquoi une oeuvre peut être appréciée, à quel degré et pour quelles raisons.
C’est du moins ce que j’ai appris, compris et appliqué à mes débuts dans le monde journalistique. Et j’y crois fermement, encore aujourd’hui, plus que jamais. Les médias traditionnels sont certainement en déclin et le vent tourne en direction du web. L’évolution fait son œuvre.
Il serait toutefois primordial, pour le bien de la critique en ligne, que certains principes du journalisme traditionnel soient importés dans les nouveaux médias, afin d’assurer la crédibilité de la critique au tournant de cette transition.
* Puisque l’objectif du dossier sur la critique de MMEH était de susciter une vaste réflexion, n’hésitez pas à nous laisser vos commentaires au sujet de ce texte et du sujet en général, sous le présent article.
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Le dossier de Ma mère était hipster, avec les points de vue de Claude Deschênes (SRC), Catherine Voyer-Léger (Regroupement des éditeurs canadiens-français), André Péloquin (Voir), Daniel Racine (TFO, CIBL), François Lemay (Radio-Canada), Mélissa Pelletier (Les Méconnus) et plusieurs autres.
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