Deux chorégraphies de Daniel Léveillé au Théâtre La Chapelle | Le défi de la nudité pour tout costume

Zéro décors. Zéro costumes. Tout est noir, sauf pour quelques marques au sol. À la création de Amour, Acide et Noix en 2001 et, dans la même lignée, de La Pudeur des icebergs en 2004, le chorégraphe Daniel Léveillé s’était fait reprocher d’exploiter la nudité de ses danseurs en en faisant des exhibitionnistes, et de nous, des voyeurs. Mais ce qui pouvait paraître choquant à l’époque ne l’est plus. Et avec la reprise de ces deux œuvres phares au Théâtre La Chapelle, Daniel Léveillé continue d’affirmer avec force que la peau est le premier et véritable costume du corps d’un danseur.

Si bien que depuis leurs débuts, ces deux spectacles ont été présentés 200 fois dans pas moins de 50 pays. Que ce soit au Théâtre de la Bastille à Paris ou quelque part en Indonésie, tous s’accordent pour dire que la base du travail du chorégraphe, c’est le travail justement, et qu’arrivé à ses 40 années de création, Daniel Léveillé se place à juste titre dans les mêmes eaux que Ginette Laurin, Édouard Lock ou Marie Chouinard.

Sa compagnie, Daniel Léveillé Danse qui célèbre son 25e anniversaire, nous a proposé au fil des ans plusieurs œuvres fortes, qu’on pense au Sacre du printemps, au Crépuscule des océans (créée en 2007, la même année que la reprise du Sacre), et plus près de nous, à son magnifique doublé Solitudes solo suivi trois ans plus tard par Solitudes duos. Des chorégraphies qui pour la plupart se sont retrouvées dans le circuit international des tournées en danse contemporaine.

e Photo par John Morstad / Globe and Mail (2004)

Photo par John Morstad / Globe and Mail (2004)

Amour, Acide et Noix, qui se décline sur Les Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi, interrompues momentanément par le hard rock   de Led Zeppelin, est la plus dure, la plus drue aussi des deux oeuvres. Elle est une lecture du corps en solitaire, cherchant en le poussant à l’extrême, à le mettre en relation avec le monde. Sur la trame d’un montage de chants et de cris d’oiseaux, le danseur Emmanuel Proulx offrira le plus beau solo de la soirée. Il a dans le regard une intensité, une défiance mêlée de plaisir qu’ont seulement les plus grands.

La Pudeur des icebergs relève du même vocabulaire chorégraphique, avec en second plan cette fois la musique de Chopin. Les corps se confrontent, se soulèvent, s’entrechoquent, se font transporter par les autres danseurs qui à répétition les jetteront plus loin. Le poids des pas martèle le sol, témoignant de tout l’effort physique demandé.

Photo par Jacques Grenier

Photo par Jacques Grenier

La masse de chair des corps empilés les uns sur les autres à un moment donné au centre de la scène, procure une sensation d’implosion marquant la fin du monde. Mais même si c’est une danse formelle, elle est tout autant libératrice. La recherche insatiable en laboratoire du corps dansant, avec toute sa vulnérabilité, exprimera forcément une émotion, qu’elle soit pudique ou impudique.

Les danseurs ne sont pas les mêmes qu’à la création où s’était retrouvé un débutant du nom de Dave St-Pierre qui a fait un bon bout de chemin depuis. La seule danseuse du groupe, Ivana Miliecevic, a été remplacée par Esther Gaudette qui livre une performance sans faille. Autrement, seuls Frédéric Boivin et Mathieu Campeau sont restés pour cette double reprise qui maintenant, épurée et construite avec toute la vérité du langage cru du corps nu du danseur, atteint le rang mérité de classique pour Daniel Léveillé.

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