Dans la tête de Proust (par Sylvie Moreau) à Espace libre | Un réel chef-d’œuvre !
Marcel Proust, ce monument de la littérature française qui a eu ses détracteurs, en raison surtout de sa peinture sociale acidulée, et du style de ses phrases interminables, peut faire peur. Mais voilà que, créant la surprise, la comédienne et metteure en scène Sylvie Moreau, en exégète de l’univers proustien, arrive avec sa pièce Dans la tête de Proust qui déboulonne le mythe littéraire pour le transposer en un réel petit chef-d’œuvre théâtral accessible à tous.
Un lit en bois massif, et deux pans de murs en coin transpercés de tableaux vivants comptent pour tout décor sur la scène d’Espace libre. Cette proposition d’Omnibus dans laquelle le fondateur, Jean Asselin, joue le Baron de Charlus avec sa maîtrise en tous points de pantomime complexe, apporte son lot de moments si intenses qu’il n’est pas exagéré de les qualifier de très grand théâtre.
Le titre du texte de Sylvie Moreau, qui a abattu le travail colossal de traverser toute l’œuvre de Proust, est suivi des mots « pastiche, collage et fabulations ». À mesure que la pièce avance, il devient évident que son auteure a étudié pendant cinq ans à l’École de mime Omnibus. Son Proust pour cinq acteurs regorge de prouesses corporelles qui fusionnent avec le texte original de À la recherche du temps perdu, le grand œuvre de Proust, publié en sept tomes entre 1913 et 1927, soit en bonne partie après la mort de l’auteur en 1922. L’ensemble, qui ne compte pas moins de 3000 pages, est une vaste comédie humaine avec quelques 200 personnages truculents répartis sur quatre générations.
Sylvie Moreau a situé l’auteur de Du côté de chez Swann à la fin de sa vie, reclus depuis huit ans dans sa petite chambre du boulevard Haussmann pour achever, écrivant la nuit dans son lit, le flot des mots souffreteux qui allait marquer le début de la modernité en littérature française.
Pascal Contamine, qu’on souhaiterait voir plus souvent au théâtre, incarne avec juste la bonne dose, entre folie et génie, le grand Marcel dont on disait que les copieux dîners au Ritz, seul ou en bonne compagnie, furent mémorables.
La pièce où dès le début, Proust fiévreux respire avec grande difficulté, se décline en 15 tableaux, comme autant de repères de la bonne société et des salons parisiens du début du XXe siècle où se côtoyaient dans la plus grande flagornerie aristocrates et petits bourgeois parmi les gens du monde.
Hanté par ses personnages, de Mme de Verdurin (magnifique Nathalie Claude) à Mme de Guermantes (versatile et juste Isabelle Brouillette), ou encore Swann lui-même (Réal Bossé avec son jeu tout en souplesse), qui envahissent sournoisement sa chambre et sa tête, Proust alité donne libre cours à ses réflexions sur le temps qui passe et la mémoire affective, quand ce n’est pas sur le tragique des relations amoureuses, la possession et la jalousie destructrice.
Scénographie au diapason des interprétations
Les costumes de Charlotte Rouleau, les lumières de Mathieu Marcil, la musique et l’environnement sonore de Ludovic Bonnier, et la scénographie, par-dessus le marché, de Sylvie Moreau et David Poisson, tout de cette formidable redécouverte fait de Dans la tête de Proust le must au théâtre cet hiver.
Après Oscar Wilde, mais bien avant André Gide, Jean Cocteau et Jean Genet, Proust n’a pas craint de dépeindre des personnages homosexuels ou parlant d’homosexualité dans ses romans à clés où ses propres dérives de multi-toxicomane font le reste de sa réputation que seule sa gouvernante, Céleste (re-magnifique Nathalie Claude), défendra.
Né d’un père catholique et d’une mère juive, le jeune Marcel Proust faillit être emporté par une violente crise d’asthme dès l’âge de neuf ans. Il est resté de santé fragile, craignant chaque printemps comme cette saison où le pollen pouvait le tuer.
Gagnant du Goncourt en 1919 pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs, il écrira ensuite avec beaucoup de courage pour l’époque Sodome et Gomorrhe en deux tomes. Emporté par une bronchite à seulement 51 ans, on ne connaîtra jamais la suite de son œuvre.
Mais, grâce à Sylvie Moreau et à la troupe d’Omnibus, on comprend mieux maintenant (que trop jeune à l’école), ce que Marcel Proust a voulu dire en écrivant : « Quand on se voit au bord de l’abîme et qu’il semble que Dieu vous ait abandonné, on n’hésite plus à attendre de lui un miracle ». C’était avant qu’il ne meure au bout de son œuvre en y mettant le mot « Fin ».
- Artiste(s)
- Dans la tête de Proust
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Espace Libre
Vos commentaires