Critique théâtre | Icare au TNM

Le Théâtre du Nouveau Monde présentait jeudi soir la première médiatique de la toute dernière création du tandem Lemieux-Pilon, une actualisation du mythe d’Icare, qui s’est brûlé les ailes en volant trop près du soleil, malgré les recommandations de son illustre père Dédale. Un spectacle multidisciplinaire où les prouesses technologiques auront tôt fait d’éclipser le reste – le texte, principalement.

Si les dispositifs scéniques invitent le spectateur dans un univers totalement immersif carrément hallucinant, il est regrettable que l’on peine à tendre l’oreille aux enjeux avec lesquels les tourmentés Icare (Renaud Lacelle-Bourdon, physique) et Dédale (Robert Lalonde, nostalgique) sont aux prises. L’enrobage visuel, l’atmosphère, l’ambiance sonore, l’époustouflant décor virtuel, la musique, les silences sont déjà tellement intenses, tellement denses, que le texte devient presque superflu, un appareillage, un artifice de plus — inconfortable qui plus est.

Au cours de ces 80 minutes où l’expérience visuelle est à couper le souffle, l’épouse/mère (Pascale Bussières, égale à elle-même), l’Icare enfant et l’apprenti de Dédale apparaissent, disparaissent, comme les décors, holographiques – des fantômes – et matérialisent les absences du père, une mémoire en labyrinthe lourde de souvenirs douloureux. De son côté, Icare, aux ambitions mal définies, portant le fardeau de la gloire de son père et de son éternel rejet, cherche à s’affranchir, s’écartant de la réalité dans une fuite vers le haut, vers le soleil, les étoiles, l’aventure, un monde onirique où l’architecte ne lui fait plus d’ombrage – ou de reproches silencieux.

Les souvenirs et l’imaginaire ont plus d’emprise que le réel, ce moment où ils sont réunis, dans la forêt. Le père se torture l’esprit, depuis 20 ans, et en fait subir toute la détresse – et la violence – au fils qui, lui, reste pris avec ses attentes déçues, partagé entre son admiration pour lui et la haine qu’il lui insuffle. À travers les écarts d’Icare et les hallucinations de Dédale, ils ne parviennent donc pas à communiquer, à transcender leurs souffrances, si ce n’est en venant aux coups.

On est habitués aux productions tape-à-l’œil du TNM et on ne s’en formalisera pas… On regrette seulement – mais beaucoup – que les qualités de dramaturge de l’auteur du texte (Olivier Kemeid) n’aient pu trouver ici leur place dans cet amalgame mythique riche de sens. On salue l’audace, mais le vertige créé par le foisonnement d’éléments dessert l’importance du mythe et de son actualisation. On s’incline également devant la brillante idée d’inclure le coryphée du traditionnel théâtre grec en la mezzo-soprano Noëlla Huet. On retient la qualité d’interprétation des protagonistes principaux. On applaudit le travail du mouvement (Estelle Clareton). On regrette toutefois la pauvreté de la présence (virtuelle) de Maxime Denommée (désincarné, au propre comme au figuré), sous les traits de l’apprenti de Dédale, qui voit en lui tout ce qu’il ne voit pas chez son propre fils, mais qu’il précipitera tout de même littéralement à sa perte. Et on le répètera : on blâme la force et l’opulence de l’installation multimédia ; elle accapare le spectateur, dilue l’attention, ou plutôt la concentre vers le contenant plutôt que le contenu. Du pur spectacle. Un subterfuge.

« Tu m’as montré le monde tel que tu voulais que je le voie. », dira Icare, ou quelque chose dans le genre. Le tandem Lemieux-Pilon nous a montré tout un monde. Le leur.

Icare
Théâtre du Nouveau Monde
Du 14 janvier au 8 février

Création, scénario visuel, mise en scène, conception visuelle et multimédia :
Michel Lemieux et Victor Pilon

Texte :
Olivier Kemeid

Interprètes :
Renaud Lacelle-Bourdon, Robert Lalonde, Noëlla Huet

Interprètes virtuels :
Pascale Bussières, Maxime Denommée, Loïk Martineau

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