Critique théâtre | Cock à L’Espace 4001

La semaine dernière, Alexandre Goyette a mis ses couilles sur la table en présentant sa toute première mise en scène, COCK, à L’Espace 4001. Après avoir traduit et adapté le solide texte du Britannique Mike Bartlett, il s’est attelé à la mise en scène et y incarne avec vigueur un des quatre personnages. Trois chapeaux, donc on dira : Goyette3.

Goyette à la trois parce que c’est sérieusement lui qui prend toute la place. De s’être approprié le matériau brut pour lui donner une saveur québécoise bien dégoulinante de sacres, ça ne lui suffisait pas. Il a monté la pièce avec ses partenaires de LiF : T (Les Idées Flottantes : Théâtre), signant une mise en scène très épurée, évocatrice – sa première. Et quand il s’est buté au choix des acteurs, il ne trouvait personne à son goût pour interpréter le rôle de l’amoureux du personnage pivot, John. Il a saisi à bras-le-corps l’opportunité de camper, pour la première fois aussi, le rôle d’un homosexuel.

Si les traits de son protagoniste sont soulignés à gros traits, à la limite du caricatural, il n’en demeure pas moins attachant et archi réaliste, cet amoureux qui voit la moitié de son couple l’abandonner, puis se tourner vers l’Autre. Et tergiverser. Et cet Autre, comment aurait-il pu être pire qu’en s’incarnant sous les traits d’une femme? L’inhabituel triangle amoureux dépeint dans COCK, à force de moments d’inconfort, expose dans un langage plus que cru les jeux tyranniques d’un être faible qui ignore le pouvoir qu’il a sur les deux autres, aux prises avec son incapacité à choisir entre son couple homosexuel qui bat de l’aile et le miroitement d’une vie « normale », hétérosexuelle.

Il y a beaucoup de stock là-dedans, beaucoup d’enjeux, et surtout beaucoup de rythme, des répliques acerbes, des silences qui crient, mais des vrais éclats de voix aussi — peut-être un peu trop? En somme, John, qui se pose presque en victime, n’est autre qu’un bourreau sadique. Il joue avec ses deux amants comme un chat le fait d’une souris. Avec un plaisir d’autant plus déstabilisant puisqu’inavoué — et inavouable —, et qui le rend détestable. Et les deux autres n’en sont que plus pathétiques. Incapable de choisir — de renoncer, plutôt —, il oscillera de l’homme qu’il a aimé à la femme qu’il découvre sans être capable de prendre de décision, s’empêtrant dans ses mensonges. Sachant toutefois très bien que dans les bras de l’un comme de l’autre, il ne sera pas plus heureux.

Au chapitre des bémols, le texte aurait gagné à être élagué un peu côté interjections vulgaires : trop, c’est comme pas assez. De même, l’heure et quart qu’on y passe s’y déroule dans une impression de perpétuelle engueulade et, là aussi, peut-être que le niveau vocal une coche en dessous aurait donné un peu plus de subtilité au propos, augmentant l’impact des échanges, de la douleur et de l’impuissance des deux antagonistes. Enfin, même une semaine après y avoir assisté, on n’arrive toujours pas à comprendre l’utilité du quatrième personnage (le père de l’amoureux) et son apport à la dynamique, à l’évolution du drame, à la compréhension et à la résolution des enjeux. Comme un chien dans un jeu de quilles, aussi maladroit que son personnage dans sa relation émotive vis-à-vis de son fils, ce quatrième personnage est incongru.

Néanmoins, COCK, acclamée à Londres et à New York, présentée ici pour la première fois en français, pose un regard virulent sur nos rapports à l’autre, sur les questionnements identitaires et les jeux de pouvoir relationnels avec cet humour britannique grinçant qui ne nous laisse pas du tout indifférents. Salut et merci à Goyette, qui a osé et qui, nous lui souhaitons, osera encore.

 

COCK
de Mike Bartlett
Création francophone
Traduction et mise en scène d’Alexandre Goyette
Production de LiF : T (Les Idées Flottantes : Théâtre)
Avec Michel-Maxime Legault, Alexandre Goyette, Geneviève Côté et Daniel Gadouas

Espace 4001
4001, rue Berri (angle Duluth)
du 30 janvier au 15 février 2014
Billetterie : 514 282-3900

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