Critique | Serge Fiori – Serge Fiori
L’image est vraiment trop facile, mais pour certains, ce retour sur disque est comparable au retour du Messie. Ou presque. C’est du moins similaire à cette réunion de Peter Gabriel avec Genesis dont on entend des rumeurs aux deux ans depuis à peu près toujours. C’est l’enfant prodigue du folk-rock progressif québécois qui nous revient, 28 ans après son dernier album. C’est inouï, et tellement bienvenu.
Simplement intitulé Serge Fiori, ce disque nous transporte dès ses premières notes à une autre époque. Qu’on ait connu la période classique d’Harmonium ou non, un bon nombre de québécois et québécoises de tous âges associe la musique de Fiori et de son ancien groupe à des moments bien précis de leur vie, moments reliés à la jeunesse et à une certaine innocence. C’est cette voix, cette voix inimitable, presque magique, qui nous emmène ailleurs, dans un espace sonore indéfinissable. 28 ans plus tard, cette voix est intacte. Peut-être un peu plus grave, définitivement plus mélancolique, mais toujours aussi mélodieuse et porteuse d’émotions.
Fiori y va de clins d’œil évidents à ses fans de la première heure, principalement sur Le monde est virtuel, qui ouvre l’album. Guitare 12 cordes, touches de mellotron, on est en présence ici du Fiori des beaux jours, celui qui nous manquait depuis si longtemps.
Mais Fiori n’est pas nécessairement Harmonium. S’il en était l’esprit et la sagesse – le grand manitou – il n’en demeure pas moins que sa musique diffère de ce que le groupe avait à offrir. Il a su s’entourer d’une bande de musiciens qui servent parfaitement bien son propos et son style. Le chanteur se tourne vers des airs bluesés, avec l’entraînante Démanché ainsi que sur l’amusante Zéro à Dix, une réflexion délirante – et quelque peu pessimiste – sur le vieillissement et le passage du temps sur notre société.
Car critique, Fiori l’est. Crampe au cerveau en est l’exemple le plus flagrant, attaquant sans trop s’en cacher le parti présentement à la tête du pays. Les phrases sont souvent bien tournées, avec le punch et la franchise auxquels l’auteur nous a habitués il y a si longtemps de cela. Son regard est lucide et allumé. Fiori observe la société avec la même acuité qu’auparavant.
Si l’album avait bénéficié d’un peu plus de folie du point de vue musical – rappelons-nous que les expérimentations jouissives d’Harmonium était attribuables à tous ceux qui composaient la formation, tels que Serge Locat ou Libert Subirana – ce nouveau disque fait appel à d’autres sens, voyant l’artiste faire un travail d’introspection touchant.
Seule, écrite pour sa mère aux prises avec l’Alzheimer, et la déchirante Laisse-moi partir, à propos des derniers instants passés près de son père, sont probablement les moments les plus forts de l’album, deux chansons poignantes et sincères. Fiori sait toujours trouver les bons mots. Sa poésie est aussi forte, sinon plus, qu’à l’époque.
Et que dire de Jamais? Retrouvailles de Fiori avec Monique Fauteux, voix féminine inoubliable d’Harmonium, cette pièce est d’une douceur exquise.
L’édition sur vinyle rend avec fidélité la réalisation riche, chaude et vivante de Marc Pérusse. La voix y est d’une clarté étonnante, les instruments (surtout la guitare) enveloppant la voix de Fiori, le tout très planant et spacieux.
Difficile de rester objectif lorsqu’on a attendu pendant des années, puis espéré, et finalement abandonné tout espoir de voir ce disque, et qu’enfin il nous arrive inopinément entre les mains. Les détracteurs de la première heure ne trouveront rien ici pour apprécier davantage l’artiste, qui réenfile ses souliers d’Harmonium, tout en y intégrant une touche de mélancolie bien personnelle. Mais ceux qui y rêvaient depuis toujours peuvent se réjouir : Serge Fiori est un retour complètement réussi.
- Artiste(s)
- Serge Fiori
- Catégorie(s)
- Chanson, Pop, Rock,
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