Critique album | My Bloody Valentine – m b v
Il n’est pas rare, en musique, que les attentes dénaturent la valeur d’une oeuvre, ou du moins, notre impression de cette valeur. Quand on attend 21 années pour un album, comme ce fut le cas pour les fans de My Bloody Valentine, la déception aurait pu être amère. Mais miracle : le résultat s’avère à la hauteur.
L’attente
Deux décennies. Les modes, les courants, les goûts, les influences : le monde entier peut changer de façon considérable sur une si longue période.
Pendant deux cent cinquante-quatre mois, les fans de My Bloody Valentine ont écouté, réécouté, étudié, ruminé, vénéré Loveless, un disque que plusieurs critiques considèrent comme un chef d’oeuvre, rien de moins. L’album noise rock parfait, la naissance du shoegaze tel qu’on l’a connu, les racines du dream pop.
Après une implosion au milieu des années 1990, le leader du groupe Kevin Shields a pratiquement disparu du radar, contribuant une rarissime chanson à la trame sonore de Lost In Translation de Sofia Coppola et enregistrant un album live avec Patti Smith.
La reformation de My Bloody Valentine en 2008 laissait croire à la suite des choses sur disque. Après tout, le groupe présentait du nouveau matériel en concert. Mais encore là, il fallait être patient. Les dates de sortie se multipliaient, sans jamais être respectées.
Lorsque le groupe a annoncé, samedi dernier, qu’il allait finalement lancé son nouvel album le soir même sur son nouveau site, plusieurs cyniques croyaient qu’il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie.
Le temps venu, le site a pris des heures avant d’être fonctionnel et de permettre l’accès à l’album, tant la demande était forte. Pendant ce temps, les fans tapissaient le mur Facebook du groupe de leurs doléances, entre quelques dizaines de tentatives de rafraîchir le fureteur.
Tout est rentré dans l’ordre tard en soirée et la précieuse nouvelle musique de Shields et sa bande pouvait enfin être dégustée.
À la hauteur
Faisant fi des années qu’on a mises à l’attendre, m b v reprend le flambeau comme si de rien n’était et mise encore une fois sur une esthétique intemporelle, qui ne cadre pas plus dans les années 1990 qu’aujourd’hui. C’est peut-être ce qui permettra aux fans d’excuser une si longue attente. À plusieurs égards, le temps est un concept futile pour MBV. Et le prochain album pourrait bien prendre deux vies à arriver.
Dès le premier accord de fuzz de She Found Now, le battement de coeur de la batterie martèle délicatement. La voix de Shields se dépose sur tout ça. L’ensemble donne un portrait qui dépasse la somme de ses éléments.
L’écoute se poursuit et on retrouve tout ce qu’on aime de My Bloody Valentine : les sonorités inidentifiables, les tempos suspendus dans le temps, les voix vaporeuses qui laissent à croire qu’une mélodie se cache subtilement derrière ce boucan savamment contrôlé.
À mi-chemin entre chansons rock et pièces d’ambiance, la musique que contient m b v peut autant plonger l’auditeur dans un état méditatif que susciter un sentiment d’effroi.
Denses, les compositions respirent de façon inhabituelle. Ça déstabilise toujours autant. Rien ne semble être à sa place, mais l’équilibre règne tout de même.
Le soin accordé aux sonorités de guitare est presque maniaque. Les guitares oscillent, respectent leur propre accordage. Sur New You, le mur de guitare s’éclaircit, laissant transparaître le chant de sirène de Bilinda Butcher, de façon presque pop.
In Another Way revient à une approche plus bruyante, comme un étrange mélange entre les Chemical Brothers et The Raveonettes. L’intensité monte encore d’un cran pour l’agressive instrumentale Nothing Is : une boucle frénétique de guitare et de batterie.
L’album se termine par Wonder 2, un épatant numéro de drum’n’bass et de rock, comme une tempête sonore sur rythme saccadé.
Tout comme son prédécesseur de deux générations son aîné, m b v est davantage une expérience à vivre qu’une collection de chansons. Et c’est très bien ainsi.
Disponible exclusivement au www.mybloodyvalentine.org
- Artiste(s)
- My Bloody Valentine
- Catégorie(s)
- Indie Rock,
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