Coriolan au TNM | Un coup de génie événementiel!
Robert Lepage, après avoir été malmené par toute la polémique entourant ses deux plus récents spectacles, SLAV et Kanata, ne pouvait espérer une plus fulminante revanche. Immensément réussie à tout point de vue sur les planches du Théâtre du Nouveau Monde, sa mise en scène de Coriolan marque un retour en lion qui dépasse ce qui se fait de mieux à Broadway, comme n’importe où ailleurs au monde. Que du grand théâtre, que du grand Lepage!
Grosse production
Saluée de toutes parts au 65e Festival de Stratford l’été dernier où elle était jouée en anglais élisabéthain sous le titre Coriolanus, cette méga-production ne voyage pas léger. Il aura fallu six camions pour transporter les décors et les dispositifs scéniques complexes. Puis, 15 jours auront été nécessaires pour monter le tout sur la scène du TNM, soit le double de la moyenne habituelle. Treize techniciens de scène s’activeront dans les coulisses pendant la représentation, de même qu’un nombre record de six habilleuses et de trois régisseurs.
D’une création remontant aussi loin qu’en 1607, la tragédie politique de Shakespeare raconte en trois heures avec entracte le sort qui attend le jeune chef de guerre romain Caius Marcius, revenu victorieux de son combat contre les Volsques, ennemis jurés de Rome. C’est la conquête de Corioles en particulier qui lui vaudra son surnom. Exhibant avec fierté ses blessures de guerre devant sa mère, l’impétueuse Volumnia nourrit l’ambition de le faire élire consul.
Mais la rébellion gronde chez les Romains qui peinent à manger et en tiennent Coriolan responsable. Arrogant, orgueilleux et méprisant la populace qu’il juge inférieure, Coriolan se heurte à la position récalcitrante des deux plébéiens Brutus et Sicinius, craignant au nom du peuple de se voir imposer une dictature.
Photo par Yves Renaud
Alexandre Goyette, que tous identifient immanquablement au personnage de son King Dave, se montre tout de suite convaincant dans le rôle-titre. Il en a la prestance et les faiblesses inavouées. Sans être incestueuse, sa relation fusionnelle avec sa mère est pleine d’ambiguïté. Dominante et fine manipulatrice, Volumnia est interprétée par Anne-Marie Cadieux avec une poigne à tout crin proche de la perfection.
La comédienne se mesure ainsi pour une 10e fois en près de 30 ans au joug de Robert Lepage, théâtre et cinéma confondus. C’est elle déjà qui interprétait Volumnia il y a 25 ans dans le Cycle Shakespeare où Lepage avait réuni Macbeth, Coriolan et La tempête au début des années 90, dans la même traduction de Michel Garneau. Telle une égérie, Anne-Marie Cadieux représente tout ce qu’il y a de plus lepagien, et on ne peut que s’incliner devant la démonstration de beauté et d’intelligence de son jeu.
* Photo par Yves Renaud
Ils sont 18 comédiens de haute voltige à livrer cette pièce charnière, certains interprétant plusieurs rôles, comme Jean-François Blanchard d’abord en animateur radio, Jean-François Casabonne en vieux sénateur, et Philippe Thibault-Denis en avocat. Rémy Girard en ami intime de Coriolan et Widemir Normil en officier, se détachent du lot. Incluant ce dernier, on retrouve d’ailleurs trois comédiens Noirs dans la distribution, sans le moindre indice d’une quelconque « désappropriation culturelle ».
Scénographie de haute qualité
On pourrait dire tout autant que la grande réussite de ce spectacle repose sur les fabuleux décors conçus par Robert Lepage, Steve Blanchet et Ariane Sauvé. Une machine impressionnante où s’opèrent une trentaine de changements d’éléments scéniques, roulant en silence sur des rails qui nous font passer d’un bain public à un forum de tribuns ou une rue étroite de Rome. Jamais la grande scène du TNM n’aura paru à ce point sollicitée, compartimentée, et brillamment surutilisée.
L’astucieuse inspiration des concepteurs se manifeste en outre par l’utilisation d’un cadre de scène à dimension variable, créant un effet de traveling, allant jusqu’à refermer ses quatre éléments dans une sorte de fade out qui ajoute une dimension cinématographique à l’émerveillement du spectateur. Toute la mise en scène du grand maître est truffée de bonnes idées pas faciles à rendre, et dont le résultat représente un accomplissement artistique de haut niveau.
* Photo par Yves Renaud.
« La rage seule me nourrit », lancera Volumnia, portant des verres fumés à contre-sens dans ce manège d’une relecture moderne en profondeur de l’œuvre shakespearienne. Le récit, campé en l’an 493 av. J.-C, ne se prive pas ici des nouvelles technologies avec des scènes dans un studio de radio, ou encore dans un bar où une télévision répond à sa télécommande. L’usage du téléphone cellulaire est courant et les textos échangés entre les protagonistes apparaissent à l’écran en fond de scène, faisant coexister avec flair les réseaux sociaux d’aujourd’hui et les forums populaires de la Rome antique.
Robert Lepage joue avec le spectateur et la temporalité avec une habileté et une inventivité qui font de son Coriolan la célébration d’un véritable sommet. « La plus grande mise en scène contemporaine de cette œuvre », mentionne le Chicago Tribune, alors que le Washington Post classe la pièce dans sa liste des meilleurs spectacles de l’année en Amérique du Nord.
Deux nouvelles supplémentaires viennent de s’ajouter les 16 et 17 février au TNM, le berceau montréalais du théâtre de Robert Lepage dont le buste imaginaire mérite d’être cerclé d’une couronne de lauriers, comme en ouverture de son désormais mémorable Coriolan, réel coup de génie.
- Artiste(s)
- Coriolan, Robert Lepage
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre du Nouveau-Monde
Vos commentaires