crédit photo: Maxime Côté
La cartomancie du territoire

Cartomancie du territoire: Regarder l’histoire dans les yeux

Avec le théâtre-documentaire « Cartomancie du territoire », le metteur en scène Philippe Ducros va à la rencontre des descendants du territoire que l’on habite, portant leurs paroles crues jusqu’à nos oreilles. Sur la scène, trois interprètes rapportent les témoignages entendus au travers de ce voyage effectué sur ce territoire qu’on appelle le Québec. Le but: parler de la vérité, donner la parole à ceux qui sont ignorés.

La pièce a déjà tourné à quelques reprises au Québec. L’auteur de celle-ci donne une autre chance à ceux ayant manqué le bateau lors des tournées précédentes d’embarquer avec lui dans ce road trip parsemé d’introspection. Sans détour ni enjolivement, Philippe Ducros regarde la vérité en face en compagnie de Sharon Fontaine-Ishpatao et Marco Collin.

Le second est un ami du metteur en scène et est impliqué dans le projet depuis le début, alors que la première s’est embarquée dans cette aventure cette année. Elle se définit comme étant une « Indienne urbaine » et a vécu sa vie avec un profond sentiment de déracinement: elle n’a pas vécu longtemps en réserve.

Sur scène, elle parle l’innu-aimun, mais lors de la période de questions faisant suite à la représentation, elle affirme ne pas vraiment parler la langue et que ses grands-parents ne lui ont jamais parlé des pensionnats. « Avec cette pièce, j’ai l’impression de réapprendre leur douleur. » Il s’agit d’une manière de contrer l’assimilation intergénérationnelle.

À l’arrière de la scène défilent des images de route. On y voit des paysages, des arbres et le fleuve à perte de vue. Et des camions. On peut reconnaître la Côte-Nord et la Gaspésie sur lesquels se sont jetés les touristes Québecois pendant les deux derniers étés. Devant l’écran, les trois interprètes relèguent non seulement des témoignages, mais tissent des liens entre l’exploitation du territoire et l’oppression des peuples autochtones.

* Photo par Maxime Côté.


Tel un parcours à travers le territoire et à travers l’histoire, La cartomancie du territoire tente de lire l’avenir dans le sol arpenté par les colons, il offre un regard vers l’avant en regardant le passé et ses conséquences sur le présent. La pièce explore l’importance de réappropriation du territoire dans le processus de décolonisation.

 

L’éléphant dans la pièce

Il est impossible de parler de cette pièce de théâtre, qui porte sur la colonisation, sans nommer l’évidence : elle est écrite et dirigée par un homme blanc.

« Si je n’avais pas cru en le projet de Philippe [Ducros], je ne serais pas là », commente simplement Marco Collin, avant de rappeler qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une démarche personnelle de la part du metteur en scène.

Le concept de la colonisation et ses impacts sont centraux dans les oeuvres de Philippe Ducros, qui a parcouru le monde avant de parcourir les routes 132 et 138. Avant de s’intéresser au territoire sur lequel il habite, il a visité la Palestine trois fois, donnant naissance au spectacle L’affiche, portant sur l’occupation de celle-ci.

Il s’est également envolé jusqu’en République Démocratique du Congo pour faire état du combat armé le plus mortel depuis la Seconde Guerre mondiale, au sein duquel le Canada est directement impliqué. Pour ce qui est de La cartomancie du territoire, il a décidé de cesser de détourner le regard et d’écrire sur les impacts qu’a la colonisation sur le territoire Canadien.

Il est donc allé voir, en personne, le but étant de « porter la parole », rappelle Collin. Tout ce qui est dit dans la pièce est vrai : « C’est vrai qu’il y a un [Micmac] qui s’est fait donner une lame de rasoir [par un garde de prison] dans sa cellule en 2013 », souligne gravement Philippe Ducros, qui a récolté des témoignages d’autochtones pendant plusieurs années.

« Le colonialisme, c’est une culture occidentale. Je ne suis pas le prêtre pédophile dans le pensionnat, mais je découle et bénéficie de son système », dit-il, expliquant son choix d’impliquer l’homme blanc dans la pièce. Aux yeux du metteur en scène, pour parler de colonisation il faut également parler de ceux de qui elle découle.

* Photo par Maxime Côté.

On le retrouve sur scène, parfois assis sur une chaise, dos aux spectateurs, écoutant les témoignages sortant des bouches des deux interprètes, apprenant au même rythme que ceux assis dans la pièce. Marco Collin et Sharon Fontaine-Ishpatao régurgitent ce que d’autres ont vécu de manière touchante et brute, articulant des mots difficiles dans le but de porter leur voix.

Philippe Ducros prend parfois la parole, jouant ceux qui se sont ouvert à lui, partageant leur histoire. Il offre également des statistiques et informations cruciales à la compréhension du phénomène de colonisation et comment celle-ci est encrée dans notre système.

« J’ai un peu de misère avec le terme réconciliation, avoue Marco Collin. Il faut la vérité ». C’est exactement ce que La cartomancie du territoire permet, de la manière la plus honnête. Toutes les personnes assises dans la salle Pauline-Julien lors de la première représentation d’hier soir auront appris quelque chose. Difficile de nier l’existence du racisme systémique ou de ne pas le comprendre après avoir assisté à cette oeuvre puissante.

La cartomancie du territoire sera présenté dans divers lieux du grand Montréal, ainsi qu’en France au cours des prochaines semaines (voir la liste ci-bas).

Prochaines représentations de Cartomancie du territoire :

14 octobre | Quai 5160 – Maison de la culture de Verdun* | Montréal

15 octobre | Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce* | Montréal

16 octobre | Maison de la culture Mercier* | Montréal

21-22 octobre | Théâtre Alibi | Bastia (Corse)

26-27-28 octobre | Musée des Confluences (Festival Sens Interdits) | Lyon (France)

29 octobre | Théâtre de Givors (Festival Sens Interdits) | Givors (France)

4 novembre | Les Aires – Théâtre de Die et du Diois | Die (France)

9-10 novembre | Théâtre de Privas | Privas (France)

18 novembre | Maison des arts de Laval | Laval

19 novembre | Marché des arts Desjardins | Sorel-Tracy

25 novembre | Vieux Couvent de Saint-Prime | Saint-Prime

26 novembre | Théâtre La Rubrique | Jonquière

1er décembre | Maison de la culture Janine-Sutto* | Montréal

2 décembre | Centre communautaire d’Anjou* | Montréal

3 décembre | Théâtre Belcourt | Baie-du-Febvre

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