Carrion

Carrion de Justin Shoulder par MAI Au Monument-National | Une étonnante performance solo futuriste

Justin Shoulder est un jeune artiste pluridisciplinaire venu de Sydney en Australie pour nous présenter une performance tout à fait surprenante inspirée des mythologies ancestrales queer de l’Asie-Pacifique. Son solo « Carrion », qu’offre MAI (Montréal Arts Interculturels) hors les murs au Monument-National, est une œuvre très personnelle à saisir au passage, comme un lien bizarroïde entre le passé et l’avenir des humains transfigurés par une évolution de moins en moins rassurante.

Au tout départ, comme c’est de plus en plus fréquent dans les salles de spectacles parallèles, une voix nous informe que nous sommes situés en territoire autochtone volé et qui n’a jamais été cédé. Tiohtia : ka, devenue Montréal, est reconnue historiquement comme lieu de rassemblement de plusieurs Premières Nations, notamment Abénakis, Algonquins, Anishinabek, Atikamekw et Hurons-Wendat. C’est là une précision respectueuse d’un passé douloureux qui n’est pas pour déplaire à Justin Shoulder.

L’artiste, tel une larve géante prisonnière dans une enveloppe boursoufflée qui rampe au sol, réussit à s’en extirper avec peine pour se transformer en une sorte d’oiseau préhistorique qui n’est pas sans évoquer la peinture de Bosch ou celle de Dali. Notre impact destructeur sur la planète est ensuite suggéré par l’expansion d’une immense structure en toile difforme qui se gonfle presque jusqu’à l’éclatement.

* Photo par Alex Davies.

Tout se passe lentement et au niveau du sol, comme quoi le performeur, malgré son croisement animal, ne peut arrêter le temps. À un certain moment, il dispose sur la scène sept petits oiseaux artificiels dont les piles leur permettent de diffuser des petits cris, pour mieux nous sensibiliser à leur sort, qui comme le nôtre, est en voie de disparition.

Le corps nu de l’artiste, avec des tatouages primitifs jusque sur ses jambes lisses, est le vecteur d’une beauté et d’une jeunesse en pleine perdition. Évoquant un squelette en devenir, Justin Shoulder s’attache aux bras et aux jambes des os humains, tout en émettant avec sa bouche des sons et des grognements empruntés au règne animal.

Aussi inquiétant soit-il, ce spectacle magnétique procure de très belles images scéniques, des figures hybrides soutenues par une musique apocalyptique, une chorégraphie sans équivalence et des habiles jeux d’éclairages à même le spectre post-humain qui nous interpelle. Ce Carrion, faisant moins d’une heure en scène, continue de nous hanter longtemps après.

* Photo par Bryony Jackson.

Justin Shoulder, qui s’adonne aussi à la sculpture et à la vidéo, se produit même, en plus des centres d’art renommés, dans des clubs de nuit, créant un effet certain qui provoque la réflexion avec ses créatures étranges dont les costumes et les prothèses sont fabriqués de façon artisanale, pour mieux s’animer ensuite avec leur propre langage gestuel. L’artiste, dont la réputation est enviable dans son pays, participera l’an prochain à la 22e Biennale de Sydney avec une nouvelle création qui pique la curiosité, sûrement avec raison.

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