Bouleversement

Bouleversement à l’Agora de la danse | Entrevue avec Estelle Clareton : Un tsunami en troisième vague

S’inspirer d’un tsunami pour créer un spectacle présenté en pleine troisième vague d’une pandémie qui afflige le monde entier, ça ne s’invente pas. Quand on apprend que Bouleversement d’Estelle Clareton a été pensé, travaillé, échafaudé bien avant la situation qu’on connaît, le hasard est d’autant plus renversant.

« C’est un projet qui s’est étiré dans le temps, pas juste à cause de la pandémie, nous explique Estelle Clareton au téléphone. Ça a commencé il y a six ans. C’est un projet qui part de quelque chose de très personnel que j’avais envie de questionner, et de rencontres avec des interprètes… »

 

Le corps face à un grand danger

Estelle Clareton aborde le langage du corps de multiples façons. Formée au Conservatoire national de danse d’Avignon, elle est aussi comédienne et metteure en scène, ainsi que directrice de la création à l’École nationale de cirque.

Avec un bagage nourri par la danse, le cirque et le théâtre, elle souhaitait explorer la « mécanique de l’angoisse », comment le corps réagit en détresse, comment il résiste par l’immobilité, la fuite ou la paralysie, ou se laisse happer par l’anticipation d’un traumatisme.

Comment l’humain réagit-il à une catastrophe imminente, en somme ? C’est la question qui habitait l’esprit de la créatrice, inspirée par les bouleversantes images du tsunami qui ravageait les côtes de la Thaïlande en 2004. « Ça m’avait choquée, exprime-t-elle. Parce que je m’étais mise à la place des personnes qui ont vu arriver cette vague, et je me demandais comment j’aurais réagi. Je m’intéressais à l’anxiété face à la catastrophe. »

 

* Photo par Stéphane Najman.

Il y a eu plusieurs étapes pour en venir à ce que l’on pourra voir à l’Agora de la danse du 28 avril au 1er mai. D’abord la rencontre avec l’interprète Esther Rousseau-Morin. Les deux femmes avaient commencé à travailler ensemble en 2008, sur S’envoler. « J’avais rencontré cette interprète à la sortie de l’École de danse contemporaine. Ça a été un gros coup de coeur, et on ne s’est pas quitté. Elle accompagne ma démarche depuis toutes ces années. Se retrouver toutes les deux, en face à face, on en avait envie et ça se réalise. »

Il y a eu des périodes de création, de résidence (à Sherbrooke, notamment, au Cas J.B., un lieu de création), Esther est tombée enceinte, Estelle a travaillé sur d’autres projets. Puis la pandémie est arrivée.

Et voilà que Bouleversement prend enfin vie sur scène. En plus de son interprète, Estelle Clareton a décidé de travailler avec Karine Galarneau (qui avait contribué, à ses côtés, au spectacle Paysage de papier), pour une scénographie innovante. « Je sens que c’est une collaboration super importante dans mon parcours. J’aime l’idée de travailler l’espace. Moi, j’aime le travail théâtral, le jeu, le dramaturgique. Avec cette nouvelle collaboration, c’est tout un monde qui s’ouvre, et c’est interrelié avec la dramaturgie. »

Karine Galarneau s’inspire de l’esthétique robo-cinétique minimaliste pour fabriquer un paysage à la fois visuel et émotif. « Sur scène, j’ai voulu reproduire cette sensation de catastrophe qui arrive vers une personne. Je voulais travailler avec un sol mouvant, comme aux étapes dans le tsunami : le retrait des eaux, la sensation que la mer se retire sous les pieds. On est allé vers une robotisation, pour créer une sensation de sable mouvant. »

 

Le grand vague à l’âme

Derrière mon désir de faire ce spectacle, il y a une intention de dire que ça existe et qu’on n’est pas seuls à vivre ça, l’anxiété.

Le tsunami, menace réelle et concrète, en est le point de départ. Mais Bouleversement aborde aussi le concept plus large de la submersion intérieure, du grand vague à l’âme.  « Je voulais aborder cette menace qui est là et qui est à la fois réelle et irréelle pour le personnage. Je suis quelqu’un d’anxieux, j’avais envie de parler de ça, mais pas d’une façon anxiogène. Je ne veux pas faire flipper le public dans la salle en les plongeant dans l’angoisse du personnage, mais plutôt faire une fresque, une oeuvre muséale où le public assiste à quelqu’un qui vit quelque chose et ça crée un effet empathique. On en est témoins avec un certain niveau de décalage. »

Fidèle à son style, Estelle Clareton va même jusqu’à évoquer la présence d’un certain humour dans la façon d’aborder le sujet.  « Dans le cas du personnage, son tsunami, sa menace n’est pas réelle. Mais pour elle, c’est réel. C’est dans sa tête. Donc c’est comme si par moments, elle est capable de se sortir d’elle-même et d’en reconnaître l’absurdité. »

« Je le fais avec beaucoup d’empathie pour les gens qui vivent des crises de panique. Mais je me suis permise de pousser l’humour ou l’absurdité de la situation. Pour moi, c’est une soupape, l’humour. Même si les sujets que j’aborde ne sont pas toujours joyeux. J’aime beaucoup faire côtoyer le drame et l’humour. Avec Bouleversement, il y a des petits moments où la tension dramatique se relâche. On est dans un espace à la fois très compatissant, mais aussi face à des situations absurdes et exagérées. »

Bouleversement sera présenté en présentiel à l’Agora de la danse du 28 avril au 1er mai 2021, ainsi qu’en webdiffusion du 7 au 14 mai.  D’ailleurs, le 21 avril, de 12h15 à 12h45, l’Agora présentera, dans le cadre des Midi-Coulisses 100 % Facebook Live, une rencontre exclusive de trente minutes avec Estelle Clareton et son équipe, en plein blitz final de sa création, captée directement depuis la salle de spectacle.

Détails et billets par ici.


* Cet article a été produit en collaboration avec l’Agora de la danse.

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