crédit photo: Maxim Paré-Fortin

Best of du Projet Bocal | Rendez-vous avec l’absurde

Fort de dix années de complicité, le trio de Projet Bocal récidive dans un best of purement délirant. Dans l’enceinte du Théâtre La Licorne, Sonia Cordeau, Raphaëlle Lalande et Simon Lacroix dégainent leurs costumes cheap et leurs instruments de fortune dans un enchaînement de sketchs décousus mais pourtant retenus par un fil d’écriture bien à eux.  Entre décrochages et chorégraphies de bataille épique, les comparses jouent avec les codes théâtraux pour provoquer l’hilarité et pousser toujours plus loin les limites de l’absurde.

D’un frigo de cuisine des années 50 sort une lumière, puis Raphaëlle, Simon et Sonia apparaissent en paillettes pour parader dans leur décor saugrenu.  D’un côté la table et le frigo, de l’autre une petite scène ronde et un tabouret, le tout encadré de tissus chatoyants, créant un décor mélangeant émission de variétés démodée et pendrillons de château fictionnel. Ils démarrent avec la genèse de leur projet, un bocal à poisson en verre, vide. S’ensuit alors un dialogue sur l’angoisse de pourquoi les sons et les mots ne restent pas dans le bocal.

jthks0md 2* Photo par Maxim Paré-Fortin.

La table est mise pour un enchaînement de scènes qui nous transportent non pas dans un univers, mais dans un trip d’amis très proches avec qui tout est permis. Tout est tellement différent d’un sketch à l’autre, sauf l’oeil allumé des trois complices, avares de taquinerie et de provocation de surprises. Les mises en abymes se multiplient, comme lorsqu’ils projettent une situation fictive où un couple serait dans la salle et sortirait après la représentation, et qu’une scratch sur leur auto déclencherait une chicane, qu’ils finissent par interpréter, menant le couple fictif à la rupture à cause du show.

À un autre moment, ils interrompent un numéro pour faire une italienne – dans le jargon théâtral, un enchainement rapide et sans émotion du texte d’une pièce – où les filles sont constamment déconcentrées et Simon tente de les ramener à l’ordre. Des situations du quotidien mais sublimées, amenées à leur extrême absurdité, c’est une des forces de ce trio.

7n1lq ww* Photo par Maxim Paré-Fortin

Il y a aussi quelque chose d’unique dans leur timing comique, leurs poker faces sont extrêmement contrôlées et les silences tellement bien exploités. Le décalage dans l’humour crée aussi un décalage dans les réactions et ils savent bien laisser les spectateurs mariner dans leur enthousiasme.

Il y a une parenté indéniable avec les Appendices, groupe d’humour dont Sonia Cordeau faisait partie.  Entre autres, le sketch des clémentines aurait très bien pu se retrouver dans un épisode : une fille souffre d’une clémentite, car des clémentines lui sortent de tous les orifices. Il faut voir le show pour connaître son sort.

Parfois, une pointe éditorialiste ressort des propos, mais d’autres fois, il ne faut pas chercher à s’expliquer la proposition. Et parfois ça se passe dans le même sketch. Dans une parodie des Pays d’en haut / Babine, Cordeau est assise avec une jupe, un tablier et une capine, et trempe ses doigts dans un sceau en métal, pour se les lécher et essuyer sur son tablier un enduit brun.

ot6fjx5x 2* Photo par Maxim Paré-Fortin.

Questionnée sur ce qu’elle fait par le violoneux, elle déclare : « Je mange de la marde ». La voisine éternellement enceinte la gronde, le violoneux anime la conversation et la narration, puis ils laissent Cordeau seule sur scène. La madame qui mange de la marde part alors dans une tirade sur les réseaux sociaux et le fait que les gens ne prennent plus le temps pour se voir et faire les choses, et que tout le monde s’envoie « promener » (on devine que c’est dit moins poliment).  Malgré l’hilarité générale et la grossièreté du personnage, la fin du monologue laisse quand même à réfléchir.

Chacun peut trouver dans ce show un moment préféré, à condition d’avoir une base de référence à la culture pop québécoise, de ne pas avoir les oreilles sensibles à la vulgarité, comme aux références sexuelles à un hibou qui fourre des humaines ou à des gens qui se perdent dans un vagin.

lyzk9pjj* Photo par Maxim Paré-Fortin.

Les trois amigos nous offrent même un moment touchant à la fin, en interprétant un hymne de style spirituals a capella en harmonisant à trois voix, sans second niveau ni sous-entendu. En espérant que ce best of ne signifie pas la fin du Projet Bocal, car le monde a besoin de leur folie.

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