KROY

ANIMACHINA – animisme et némésis | Quand KROY apprivoise sa peur d’un bras mécanique

Camille Poliquin, alias KROY, présente, à partir du 21 janvier, une série de huit performances vidéo où on la voit interagir et composer en symbiose avec un énorme robot mécanique. Une relation intime, à la fois effrayante et fascinante entre la machine et l’artiste, perce les écrans. Cette conceptualisation mettant en valeur l’inconfort que créent les robots aux mouvements fluides, presque humains est frappante: elle chamboulera à coup sûr les spectateurs à l’empathie aiguisée. Présenté au Centre Phi jusqu’au 30 janvier, ANIMACHINA – animisme et némésis est, sans l’ombre d’un doute, un éclair de génie.

Créées sous la supervision de l’ingénieur Jonathan Anderson, à la Creative School de l’Université de Ryerson à Toronto, les captations vidéo présentées au Centre Phi sont prenantes. À chaque vidéo son écran et sa paire d’écouteurs. On y voit et entend l’artiste créer en collaboration avec un imposant bras mécanique.

Placé au beau milieu des télévisions, au centre de la pièce, on trouve une version réduite de celui-ci, enfermée entre quatre plaques de Plexiglas. Programmé et réglé au quart de tour, il joue sur un clavier une mélodie qui résonne sur les murs blancs du Centre Phi. C’est l’instrument qu’utilise toujours KROY en spectacle. Envoûtantes et feutrées, les notes émises par l’instrument contrastent avec la froideur de la carapace métallique du musicien qui l’opère.

 

Jonathan, lui il voit vraiment ces robots-là comme des outils, il les utilise pour faire de l’impression 3D à l’école.

«J’ai toujours aimé les robots dans les films, mais il y a peut-être trois-quatre ans, j’ai commencé à développer une peur des lumières robotisés, les moving lights qui sont au-dessus des scènes dans les concerts», se souvient KROY, qui est d’abord et avant tout autrice-compositrice-interprète. Cette peur en est presque devenue problématique pour l’artiste, qui peinait à tolérer leur présence sur scène ou près d’elle.

«Ils ont un mouvement qui est quasiment trop humain ou organique», explique-t-elle. La mise sur pied de l’exposition présentée au Centre Phi vient d’une tentative de l’artiste de combattre cette peur, de se l’approprier.

ANIMACHINA – animisme et némésis permet ainsi au spectateur de sauter à pieds joints dans l’uncanny valley aux côtés de l’artiste et de l’observer alors qu’elle apprivoise sa peur. Pour y parvenir, il lui fallait la comprendre: «j’avais envie de développer une certaine relation de confiance avec le robot», explique-t-elle.

C’est réussi: on peut la voir, parfois à quelques centimètres seulement de la bête, ou encore à califourchon sur celle-ci. «Il n’y a pas une fois que je suis arrivée au laboratoire sans dire bonjour au robot en lui faisant un câlin», illustre-t-elle. Il est vrai que de voir le robot jouer une musique aussi douce l’humanise.

La relation, aussi honnête soit-elle, demeure toutefois unidirectionnelle, car, malgré les tendances animistes de KROY, le robot demeure sans conscience. On assiste donc à une étrange valse entre les deux acteurs, qui fait inévitablement se poser la question: qui contrôle qui?

«Oui on contrôlait le robot à un certain point. Sinon ça aurait été trop dangereux d’être dans [le même espace que lui]. On a créé des mouvements que je n’allais pas nécessairement pouvoir prévoir et qui allaient faire en sorte que j’allais moi-même être déstabilisée dans cette relation de contrôle là», explique Camille, passionnée.

Les performances de l’artiste, si bizarres, mettent précisément le doigt sur un sentiment d’incertitude et d’inconfort qui accompagne nos interactions avec des robots.

L’une des captations vidéo met en lumière le véritable danger auquel s’est exposée KROY lors des représentations. Elle défie pratiquement le bras mécanique, qui lui, effectue des mouvements larges et rapides. L’artiste est attachée par une chaîne qui l’empêche de trop s’approcher de la machine.

Malgré avoir développé une confiance vis-à-vis les machines, elle était pleinement consciente du danger: «le nombre de fois qu’il m’a swing proche de la tête que si j’avais été trois pouces plus proches, ben ça aurait été terminé… […] ce n’est pas du tout user friendly, c’est fait pour de la manufacture».

Cette peur, bien réelle, «était exactement pourquoi j’avais envie d’être là», explique-t-elle. «Si j’allais faire quelque chose qui n’allait pas être dangereux pour vrai je ne voyais pas l’intérêt de le faire».

D’autres captations rendent inconfortable, mais pas uniquement à cause de l’humanité qui émane de la créature de métal. Il y a un côté voyeur, presque pervers à regarder les deux individus interagir. Leur relation toute en proximité semble si intime qu’on a l’impression de les épier.

Les deux vidéos coup de coeur de Sors-tu? sont celles où les deux individus jouent de la musique, face à face. Très près l’une de l’autre, la machine et la femme semblent en symbiose. On peut voir l’imposante articulation jouer une mélodie au clavier alors que l’artiste chante, ou encore moduler le chant de Camille avec différentes pédales: elle n’en fait qu’à sa tête.

Comment ça marche, en pratique?

«Le robot ne comprend pas le grid musical», explique KROY. Pour faire simple, la musique fonctionne en battement par seconde, alors que le robot fonctionne en distance. «Si on mettait un métronome [sur le robot], il serait complètement offgrid», vulgarise-t-elle.

Quand Camille a effectué les performances où elle accompagne la machine au chant, elle devait s’ajuster à son langage plutôt que de la forcer à apprendre le sien.

C’est comme un genre de terrain neutre où chacun change un peu pour accommoder l’autre.

«Il fallait que [le robot effectue] des mouvements très précis, sinon je n’aurais pas pu être aussi proche», explique la musicienne. Son équipe et elle ont donc programmé le robot pour qu’il fasse une série de mouvements si longue qu’il serait impossible pour Camille d’en prévoir le rythme: «l’improvisation faisait en sorte que je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer ensuite».

C’est loin d’être la fin de l’histoire d’amour entre le robot, la femme et l’ingénieur. « Je n’en reviens pas que c’est juste notre première collaboration à Jonathan et moi. J’ai l’impression que ce n’est pas du tout fini, mon affaire! » KROY rêve de faire des prestations sur scène lors desquelles elle évoluerait avec le robot.  À la base, l’exposition au Centre Phi devait en comporter, devant public. Omicron oblige, elles sont annulées.

Malgré tout, Camille rayonne: «je suis juste vraiment heureuse de pouvoir montrer ce sur quoi je travaille depuis près de deux ans».

L’exposition commence aujourd’hui (vendredi 21 janvier) et se poursuivra jusqu’au 30 janvier. C’est gratuit, mais il faut réserver une plage horaire. Détails et billets par ici.

 

 

 

 

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