Alain Lefèvre reprend André Mathieu | Un génie et son destin
Le pianiste et compositeur Alain Lefèvre, qui figure au Panthéon des plus grands musiciens dans le monde, vient d’endisquer une nouvelle version du Concerto de Québec d’André Mathieu qui s’appelle maintenant le Concerto No. 3. Une œuvre phare résultant d’un travail de moine, enfin restituée à sa juste valeur devant l’éternel.
En présentation de presse du disque fraîchement sorti sous la prestigieuse étiquette Analekta, Alain Lefèvre expliquait que lorsque le musicologue Georges Nicholson à sa demande s’est mis à fouiller partout pour retracer la vie et l’œuvre du compositeur en vue d’une biographie, il est tombé sur la version originale du fameux Concerto pour deux pianos, une partition complexe écrite sur du papier frippé, pleine de pattes de mouches, d’annotations bizarres et de corrections à être apportées.
André Mathieu avait 13 ans en 1942 lorsqu’il a composé ce Concerto devenu l’œuvre maîtresse de sa création musicale. Celui que l’on appelait « le petit Mozart québécois » a commencé à composer ses premières pièces au piano alors qu’il n’avait que trois ans. Mais, jusqu’à sa fin tragique en 1968 à seulement 39 ans, il n’aura jamais été reconnu à juste titre par ses pairs, et il mourra dans la dèche et l’oubli plutôt que de connaître enfin le succès de musicien prodige qu’il méritait tant.
Il aura fallu une colossale entreprise de restauration étalée sur près de trois ans pour que Jacques Marchand, compositeur et chef de l’Orchestre symphonique régional d’Abitibi-Témiscamingue, réussisse à aller jusqu’au bout de ce fabuleux travail d’orfèvre et le confie ensuite à Alain Lefèvre qui a tant et tant défendu et illustré le génie de Mathieu.
« La pièce avait été amputée de manière dramatique, avance Alain Lefèvre. On ne parlait plus du tout du même Concerto. Je ne savais pas quoi faire quand je me suis retrouvé avec cette nouvelle partition que je n’avais absolument pas le temps de réécrire. Alors, j’ai pensé à Jacques Marchand avec qui j’ai déjà joué en tournée la Rhapsodie romantique de Mathieu. Je lui ai dit qu’il fallait que ce Concerto revive. Ce serait impardonnable dans l’histoire musicale du Québec que l’on n’ait pas le vrai Concerto, et Jacques a accepté de se mettre à la tâche ardue d’en restituer les origines. »
La première mondiale du Concerto No. 3 a été créée en février 2017 avec l’Orchestre philharmonique de Buffalo et Alain Lefèvre sous la direction de la réputée JoAnn Falletta avec qui il avait travaillé déjà Mathieu, entre autres au Carnegie Hall à New York en 2013. Une Maestra donc, ce qui est chose rare dans un monde d’hommes où la hiérarchie au sein d’un orchestre est très strictement établie. Le disque, qui est le 21e opus d’Alain Lefèvre à paraître chez Analekta, a été enregistré lors de ces représentations.
« On ne parle pas ici de différences infimes, mais de changements importants, continue Alain Lefèvre. On parle d’une œuvre qui se voit ajouter une vingtaine de milliers de notes donnant au final huit minutes de musique supplémentaires. On parle d’un passage complet qui avait été totalement coupé dans le deuxième mouvement, un passage d’une beauté colossale. On parle au début du 3e mouvement d’une erreur rythmique incroyable qui a maintenant été corrigée. On parle de quelque chose de fondamental pour le futur de l’œuvre. »
Sans aucune aide gouvernementale, le travail de Jacques Marchand aura été compensé par un mécène montréalais, mais Alain Lefèvre parle de « bénévolat » en ce qui le concerne lui-même, car l’œuvre de Mathieu ne tombera dans le domaine public qu’en 2018, ses droits jusque-là allant à sa famille.
L’homme au caractère bouillant dont les coups de gueule sont légendaires, ajoute à l’endroit des journalistes présents: « Vous avez tous entendu dire par le passé que j’étais fatigué de me battre avec Mathieu, pour les raisons que vous savez, et je ne reviendrai pas là-dessus. Mais aujourd’hui, je suis l’homme le plus heureux du monde en voyant des jeunes musiciens choisir d’interpréter du Mathieu. C’est la plus belle récompense que je puisse avoir, pour enfin me reposer. »
C’est là un euphémisme avoué, car pour garder la forme, la dextérité de ses précieuses mains et la vivacité de sa mémoire, un pianiste de renommée internationale comme Alain Lefèvre se doit de passer chaque jour entre sept et huit heures à son piano. Constamment en demande par les plus grands orchestres et leur chef, il sillonne le monde avec son talent reconnu par tous.
Au cours de cette rencontre de presse, il a même parlé à mots couverts d’un concert privé imminent, un concert d’État au Kremlin à la demande de Vladimir Poutine qui, à ce qui semble, n’aime pas seulement le hockey mais aussi la grande musique.
« J’ai joué Mathieu dans 47 pays et plus de 200 villes, parmi lesquelles Berlin, Paris, Tokyo, Shanghai et Londres. C’est beaucoup plus facile d’enfoncer des portes ouvertes en proposant du Rachmaninov, du Chopin ou du Beethov que de parler à un chef d’orchestre d’un compositeur qu’il ne connaît pas. Je crois que j’ai fait mon petit bout de chemin », conclue Alain Lefèvre qui passe plus de temps ici avec ses concerts et son émission du dimanche matin porteuse de bonheur sur ICI Musique à Radio-Canada, qu’en Grèce où il s’est établi il y a quelque temps, tout en parcourant le monde au sacrifice de sa vie personnelle où prédomine et passe bien avant toutes choses la musique.
- Artiste(s)
- Alain Lefèvre
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- Classique,
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