
Adrian Younge à La Sala Rossa | Avril a un je ne sais quoi
Wow, quel bonheur de pouvoir assister à un concert de cette trempe dans une salle aussi intime que la Sala Rossa. Parce qu’Adrian Younge, ce n’est pas n’importe qui, vous savez (peut-être pas, hein). Un artiste qui est tombé sur le radar de votre scribe il y a de cela une douzaine d’années grâce à son album Twelve Reasons to Die (mettant en vedette nul autre que Ghostface Killa du Wu-Tang Clan), qui avait connecté avec le fan des trames sonores des films de Quentin Tarantino.
Depuis, le compositeur et multiinstrumentiste californien a collaboré avec plusieurs autres pointures du rap (Kendrick Lamar, Jay-Z, CeeLo Green, Common, DJ Shadow, Souls of Mischief…), en plus de faire paraître une tonne d’albums de collaborations avec des légendes de l’afro-beat et du jazz d’hier, sous la bannière Jazz is Dead. Fondé avec Ali Shaheed Muhammad (A Tribe Called Quest), JID est une initiative qui rappelle celle du guitariste Ry Cooder, le Buena Vista Social Club, qui avait permis à plusieurs artistes vétérans de la scène jazz cubaine d’endisquer et de conquérir de nouveau public au tournant du millénaire.
Après être passé en catimini en 2019 au Ausgang Plaza (avec ASM, pour présenter les pièces de The Midnight Hour), Younge était visiblement attendu, le concert de samedi étant l’un des premiers à afficher complet de la présente tournée, si bien qu’une deuxième représentation fut même ajoutée en fin de soirée. C’était la sixième date (sur 16) du Something About April tour, alors qu’un orchestre de 10 émérites musiciens arpente l’Amérique du Nord depuis le début du mois à Atlanta jusqu’aux palmiers de San Diego.
D’épatants talent
À bâbord, sur la toute petite scène de la Sala Rossa, en cette journée internationale des droits des femmes, on retrouvait justement un quatuor féminin. Aux violons, nous avions Manoela Wunder et Tylana Renga Enomoto (en robe scintillante), toutes deux assises derrière la petite section de cuivres : soit la saxophoniste alto Alicia Camiña et la trompettiste Tatiana Tate (qui arborait soit dit en passant une magnifique et gargantuesque coiffure afro).
À tribord, on retrouvait le pianiste Sam Reid aux claviers et au Fender Rhodes, derrière l’extraordinaire guitariste Jack Waterson. Avec son look de savant fou en chemise hawaiienne, le vénérable, mais joyeusement dégourdi guitariste en a aussi fait sourire plus d’un·e, en nous offrant plusieurs pas de danse.
Au centre on retrouvait derrière la batterie le souriant Marcelo Bucater, qui vivait vraisemblablement sa meilleure vie. Et à la proue, se tenait le capitaine Younge, chef d’orchestre et magnifique bassiste avec son kit à la Sgt.Pepper, qui se faisant également un plaisir de s’adresser ici et là à la foule, avec un enthousiasme contagieux, étant à la fois inspirant, accueillant et reconnaissant. De plus, l’excellent et fort élégant chanteur Loren Olden est passé interpréter un trio de morceau en début de show, pour revenir tenir le micro pour les 4 dernières, avec Younge l’accompagnant vocalement par moment. Bref, une méchante belle bande de musiciens d’expérience, qui prenaient solidement leur pied — tout comme toutes celles et ceux s’étaient déplacés.
En avril, découvre donc son (faux) film
En concert, le métissage des influences bigarrées de Younge brillait par sa finesse ahurissante, avec ses compos d’ex-beatmaker nourri au meilleur du rap, du soul, du r n’b et de musiques de partout, qu’on parle de jazz, samba ou bossa-nova, et cetera. Sans oublier l’impact de la musique de film sur le principal intéressé, qui cita au micro les oscarisés compositeurs Francis Lai (Love Story, Les Ripoux, Emmanuelle 2, Bilitis…) et Ennio Morricone (les films de Leone, Tornatore, Corbucci, Pasolini, Argento, Tarantino…).
Ladite tournée visait à célébrer la sortie prochaine de Something About April III (Linear Labs; 18 avril), closant une trilogie amorcée en 2011, qui se veut la trame sonore d’un film aussi rétro que fabulé. Si aucune pièce du second volet (paru en 2016) n’était des 20 morceaux au programme, on eut droit à pas moins de 8 titres tirés du premier pour 4 du troisième (en portugais, SVP!).
Également au menu se trouvaient une poignée d’inédits et quelques pièces tirées de différents projets (dont 2 de JID). Et comme cerise sur ce beau sundae, fut finalement jouée une pièce tirée de la trame sonore du film Black Dynamite (2009), composée par Younge.
Torrides et veloutées mélodies
On s’en doutait un peu étant donné l’aspect coquin et feutré de SAA, mais Younge nous avoua en rigolant que tout a jadis commencé dans sa chambre à coucher (!), alors qu’il se voyait voué à devenir le prochain DJ Premier, tentant tant bien que mal de dénicher des vinyles à échantillonner dont les musiques ressemblaient aux mélodies qu’il avait en tête. C’est pourquoi il a fini par apprendre par lui-même à jouer d’une foule d’instruments, tout en espérant secrètement que d’immenses artistes hip-hop l’échantillonnent un jour. Et devinez-quoi : Jay-Z l’a fait.
De plus, on a aussi eu droit à des solos pour tous et toutes et des présentations, comme dans les concerts de jazz, mais sans l’aspect guindé et coincé de ce milieu parfois élitiste. Notre principal bémol (si on fait fi des menus pépins de sono) vise la durée, alors que la petite heure et quart a beaucoup trop vite passé… on en aurait pris facilement le double! Mais peu importe, car l’irrésistible groove de Younge et son orchestre a su faire bouger autant les vieux grisonnants que les plus jeunes et fringants, qui se félicitaient toutes et tous d’être présents en souriant à pleines dents.
P.S. Il y en a même qui sont repartis à la maison avec une copie vinyle de SAA III un mois et demi avant sa sortie.
P.P.S. Si vous n’y étiez pas, mais que vous êtes fans de The Budos Band, Anderson .Paak, BADBADNOTGOOD et même Portishead (peut-être grâce à la guitare cinglante de Waterson), Adrien Younge pourrait potentiellement devenir votre nouvel artiste préféré. Sans niaiser. On vous aura averti.
Liste de chansons:
1. Human Absence [simple, 2024]
2. Thunderstrike*
3. Turn Down the Sound* &
4. It’s Me* &
5. First Step on the Moon* &
6. Reverie*
7. Visual Assault [inédite]
8. A minor improv [jam]
9. Forrar Konam [Linear Labs: São Paulo; 2024]
10. Portschute [inédite]
11. Dusts of Gold*
12. Sirens*
13. Ainda Preciso do Sol***
14. Hey Lover [Roy Ayers: Jazz is Dead 002; 2020]
15. Nos Somos as Estrelas***
16. Amor Enfeitiçado [Carlos Dafé: Jazz is Dead 021; 2024] &
17. Esperando por Voce*** &
18. A Musica Na Minha Fantasia*** &
19. Sound of A Man* &
20. Shot me in the Heart [Black Dynamite; 2009] &
*Something About April (2011)
***Something About April III (18 avril 2025)
& avec Loren Oden
- Artiste(s)
- Adrian Younge
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- La Sala Rossa
- Catégorie(s)
- Hip-hop, Indie jazz, Jazz, Jazz/Blues,
Vos commentaires