L'orangeraie

Entrevue | Les jumeaux de L’orangeraie (de Larry Tremblay)

Ils ont tous les deux 28 ans dans la vraie vie, mais ils joueront des jumeaux de 9 ans dans la prochaine création pour la scène de L’orangeraie de Larry Tremblay, au Théâtre Denise-Pelletier à partir du 24 mars. Le metteur en scène reconnu, et directeur du TDP depuis bientôt deux ans, Claude Poissant, en est à sa cinquième collaboration avec l’auteur de The Dragonfly of Chicoutimi et du Ventriloque. Une association artistique qui jusqu’ici a réussi à tout coup.

Rencontrés pendant la pause du midi des répétitions, les jumeaux, soit les comédiens Gabriel Cloutier-Tremblay et Sébastien Tessier, qui ne se connaissaient pas, se montrent très enthousiastes. Ils parleront d’abondance, laissant la parole à l’autre à tour de rôle, contrairement à de vrais jumeaux dont on dit que l’un des deux est toujours dominant. Parce qu’il fallait trouver un échange d’énergie se ressemblant entre eux, le processus des auditions a d’ailleurs été long.

La pièce, que Larry Tremblay a lui-même adaptée de son roman éponyme, traduit déjà en plusieurs langues et ayant remporté plusieurs prix, nous plonge dans l’univers de l’enfance sur fond de guerre de ces jumeaux, Amed et Aziz, dont les grands-parents viennent d’être tués par un obus.

Qui a lancé la bombe? «Ce sont les ennemis, ceux qui habitent de l’autre côté de la montagne…», répond Sébastien. «Le texte de Larry est construit comme une fable, ajoute Gabriel. Il n’y a pas de situation géographique ou temporelle comme telles. Ceux qui vivent là sont victimes d’un endoctrinement, pas tant religieux que culturel, ce qui fait en sorte qu’après que la bombe soit tombée sur la maison des grands-parents, un seigneur de guerre va se pointer pour dire au père des jumeaux qu’il doit venger la mort de ses parents, même au sacrifice de l’un de ses fils.»

On le voit, les jumeaux sont le liant au cœur de l’histoire que raconte Larry Tremblay. Faut-il parler de théâtre politique? Sébastien enchaîne : « Je vois la pièce comme un thriller. Le sujet, ces histoires-là de martyrs, est présent dans l’actualité. Nous sommes tous les témoins des énormités incroyables qui se passent dans toutes les guerres. Mais, ce que je trouve beau dans la pièce de Larry, c’est la poésie qui s’en dégage. Il a su rendre un sujet aussi noir avec un lyrisme dont se dégage la beauté de l’enfance. J’ai de la misère à me dire que c’est politique, je vois plutôt le texte comme un conte.»

Gabriel nuance aussitôt : «C’est engagé, sans être revendicateur. Le but est de faire ressortir une réflexion sur comment la guerre peut briser l’enfance, en confrontant les enfants aux barbaries des adultes. Mais, l’auteur ne porte pas de jugement. On comprend comment ça peut être atroce d’endoctriner des enfants, de leur enseigner la haine, de les utiliser pour des guerres d’adultes. Un enfant, c’est vulnérable, fragile, influençable. Mais, on voit plus tard comment les adultes aussi sont influençables quand ils sont placés dans un contexte d’endoctrinement, dans une société qui a ces paramètres-là, comme c’est le cas pour le père.»

Un nouveau mot, radicalisation, est devenu courant dans nos bulletins de nouvelles. La dimension de fanatisme religieux est-elle présente dans la pièce? « Je dirais plus celle du devoir. La religion n’est pas nommée. On ne sait pas s’il s’agit de Musulmans contre des Juifs ou des Chrétiens.» «Ce sont plus des principes et des valeurs qui sont exposés», dira Sébastien, à quoi Gabriel ajoute : «C’est plus large que la religion, plus universel. C’est ce qui fait la force du texte. Le public du Québec, où l’on ne vit pas cette réalité-là, pourra quand même s’identifier.»

Un texte relevé

Les deux premiers tiers de la pièce se déroulent dans ce contexte de guerre et de vengeance, étalés sur quelques semaines. Dans le dernier tiers, on retrouve 10 ans plus tard à Montréal celui des jumeaux qui n’a pas été sacrifié. Il est étudiant dans une école de théâtre, et se voit confronté à jouer un rôle qui lui rappelle son enfance.

Rendre la dimension poétique du texte, est-il difficile à jouer? Sébastien est le premier à répondre : «Ce texte, premièrement, c’est un beau cadeau. Les mots sont incroyablement bien écrits, ce qui fait que l’acteur doit rendre le texte avant son interprétation. Larry a souvent été joué en québécois. Là, c’est un français normatif. C’est juste beau. Je continue de découvrir des choses chaque fois que j’entends le texte.»

Et il y a beaucoup de texte. «C’est touffu, dira Gabriel, mais Claude a justement insisté pour que l’on aborde cette œuvre-là avec simplicité. On évoque beaucoup, au lieu de figurer. Les mots sont tellement forts que les comédiens sont là d’abord pour porter le texte, cette langue-là, sans être obligés de tomber dans le naturalisme ni de s’épancher dans l’émotion».

Le décor sera sobre : un banc, une chaise, un effet d’éclairage. Les lieux seront évoqués. La musique originale de Philippe Brault sera très présente.

Dans la salle de répétitions où nous sommes, il y a une portion du plancher qui est en pente. La contrainte est-elle à redouter? «Moi, dit Sébastien, ce n’est pas la première fois que je jouerai en pente. Ça oblige à être groundé.» «Je trouve ça le fun. Ça oblige à être vif, à être totalement dans ton corps», renchérit Gabriel pour qui, tout juste sorti du Conservatoire de Québec, ce sera le premier grand rôle au théâtre professionnel. On le verra aussi au cinéma, puisqu’il vient de tourner un premier long-métrage de Samuel Matteau, dont le titre provisoire est Squat.

Sébastien lui, formé à Saint-Hyacinthe et finissant de 2012, a travaillé entre autres chez Ducepppe pour la tournée des Charbons ardents, en remplaçant Marc Beaupré qui lui remplaçait Emmanuel Bilodeau dont l’horaire était incompatible. Il s’est donc déjà frotté à une distribution professionnelle.

Y a-t-il un peu de trac dans l’air? «Ça commence…», répond Sébastien en se braquant. «Moi, dit Gabriel, je viens de m’apercevoir qu’on ne compte plus en termes de mois avant la première, ni de semaines, mais de jours…» Dans les faits, ils auront eu une centaine d’heures de répétitions sous la direction de Claude Poissant. Gabriel tient à rajouter : «Claude est formidable, c’est vraiment le fun! Et je reçois la confirmation de d’autres comédiens, comme Daniel Parent, qui ont souvent travaillé avec lui. La chimie est vraiment très bonne, on travaille tous dans le même sens, sans se prendre la tête. Le climat est super chaleureux et ouvert. Claude est un bon directeur d’acteurs, un rassembleur».

Pas moins de 10 supplémentaires ont été ajoutées avant même que L’orangeraie ne prenne l’affiche. Au TDP, ils joueront 30 fois en 22 jours, puis partiront pour Québec où une autre première les attend le 26 avril, soit celle du Théâtre du Trident qui coproduit la pièce, pressentie pour connaître le succès habituel des textes dramatiques de Larry Tremblay, ici et dans le monde.

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