Critique | Betty Bonifassi au Centre Phi
C’est avec la « work song » Go Down Old Hannah a capella que Betty Bonifassi a brisé la glace de son nouveau projet Chants d’esclaves, chants d’espoirs dans un Centre Phi conquis d’avance, jeudi soir. Un voyage transcendant au cœur des « slave songs » des années 20 revisitées d’électro-folk hautement percutant. Magnifique et intense.
Une quinzaine d’années, c’est ce qu’a pris Betty Bonifassi pour se réapproprier les chants d’esclaves catalogués par l’ethnomusicologue Alan Lomax pendant un demi-siècle. Avec ses comparses JF Lemieux et Benjamin Vigneault, elle nous a présenté le premier spectacle de cette relecture personnelle — un projet absolument incarné — de ces années sombres du siècle dernier.
Projet dense
C’est dérangeant, un truc pareil. Mais dérangeant positif. Ça ébranle, ça fige, ça coupe le souffle. La puissance de la voix de basse de la Niçoise d’origine, juxtaposée aux paroles et aux rythmes répétitifs des slaves songs, recréent habilement ce qu’on imagine être cet état de transe d’alors, celui qui soutenait la cadence du travail acharné et inhumain des esclaves pour leur faire oublier leur condition. Dans les champs de coton, les prisons, les mines ou sur les rails, des hymnes salvateurs pour compagnons du malheur.
Chacune des pièces, soutenue par des projections d’archives bidouillées d’effets visuels on ne peut plus actuels, est hypnotisante. Et c’est difficile de ne pas l’être, hypnotisé ; le mordant du drum, les images parfois kaléidoscopiques, les basses qui déchirent, la voix qui transperce, tout ça vient un moment donné exploser dans le ventre, se répandre et se nicher dans tout le corps — et l’émotion est indescriptible… C’est déstabilisant, puissant et ultragroundé.
Absolument fascinant.
Imposante Betty
Cette femme-là, Betty, elle a non seulement du coffre, une présence, une chaleur ; les années Champion et Triplettes, de même que la bête à deux têtes qu’elle formait avec Jean-Phi Goncalves nous l’ont montré à maintes reprises. Cette femme-là, donc, elle est habitée.
Imposante et touchante et vraie. Et… wow.
Et cette douleur, cet amour qu’elle chante, qu’elle rhyme, qu’elle murmure ou crie, c’est universel. Jeudi, le Centre Phi s’est déguisé en chapelle à l’acoustique démente, et un public de fidèles y communiait, s’emplissant de sa prêtresse à l’autel de l’émotion brute — et du frisson. Amen.
Liste des chants :
Go Down Old Hannah
No More
Old Dollard Mamie
I Don’t Want No Coffee
Berta Berta
Cottee
Whoa Buck
Grizzly Bear
Rappel :
No More
Dear Criminals en première partie
Frannie Holder (Random Recipe), Vincent Legault (Random Recipe) et Charles Lavoie (lackofsleep) ont offert une prestation version allongée de leur EP Weapons en première partie. Aussi long que le très court et dense office de Betty Bonifassi, leur set aurait gagné à être resserré autour de quelques pièces.
Mais l’harmonisation des voix de Frannie et Charles sur leur folk romantique et les atmosphères électro créées par Vincent tombaient bien à propos avec le froid crispant d’hier. On s’est réchauffé de leur ambiance dépouillée, feutrée, intimiste. C’était nous ménager avec brio pour affronter l’intensité qui allait nous submerger.
Liste des pièces :
Lover’s suicide
Bad black days
Holyfox
Fuck the stars
Acid Rain
Plastic Flowers
Pills
Bushes As Hands
Took it from me
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