Candide ou l'optimisme

Candide au Théâtre Denise-Pelletier | Candide à la sauce pop

Du 11 novembre au 6 décembre 2025, le Théâtre Tout à Trac présente une adaptation déjantée et pop de l’œuvre la plus connue de Voltaire, Candide, au Théâtre Denise-Pelletier, dans une mise en scène d’Hugo Bélanger.

Quand on va voir une adaptation ou une mise en scène d’une œuvre d’époque, on ne sait jamais à quoi s’attendre, et c’est sur cet aspect de surprise qu’Hugo Bélanger a joué pour sa création. En effet, au lever du rideau, le public a l’impression d’assister à un « beau petit Molière propret » aux allures de conte de fées, pour reprendre les mots de la conceptrice des costumes, Jessica Poirier-Chang, dans le cahier du Théâtre Denise-Pelletier. Les spectateurs sont pourtant vite détrompés et propulsés dans un univers bouffon et absurde rappelant celui d’Ubu Roi, dont Hugo Bélanger s’est inspiré pour l’environnement sonore et visuel du spectacle.

La mise en scène illustre donc d’entrée de jeu la dimension parodique et satirique de l’œuvre de Voltaire, annoncée dès les premières phrases du conte (« Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres »). Le public est donc comme Candide, qui est catapulté hors de sa bulle de richesse, de beauté et de bonheur dans le « vrai » monde hostile.

Le principal défi d’une adaptation d’une œuvre en prose au théâtre est souvent la multiplicité des lieux et des personnages (presque 50 dans Candide), difficilement représentable sur scène. Pourtant, grâce à des procédés scénographiques créatifs, notamment des éléments de décor réutilisés dans plusieurs tableaux, les éclairages et l’ajout de trappes sur la scène, le public est transporté dans tous les pays que découvrent Candide et ses compagnons durant ce parcours initiatique. L’intégration d’un chœur composé de tous les comédiens sauf Gabriel Favreau (Candide), qui interprètent tous les personnages secondaires quand ils ne jouent pas leur personnage principal, est très judicieuse. L’incroyable travail du corps et le vaste répertoire de jeu des comédiens rend cette adaptation possible et crédible et permet une immersion totale dans l’univers du conte, tout comme les costumes.

L’évolution du personnage de Candide, de l’innocence à la maturité au fur et à mesure qu’il découvre la réalité du monde, est illustrée dans la transformation du costume du comédien. Effectivement, il enlève peu à peu des éléments de son habit, passant des froufrous et du tulle bleu pâle à la simple chemise blanche et au pantalon à bretelles sans chausses, passant de l’enfant au paysan/jardinier, qui « cultive son jardin ». Cette métamorphose est d’autant plus remarquable que le comédien demeure sur scène tout au long du spectacle.

Quant aux autres personnages, ils ne se métamorphosent pas totalement, comme Pangloss qui ne quitte pas ses grosses lunettes aux verres roses d’optimiste et Martin dont les yeux restent partiellement couverts par sa longue frange noire car sa vision est floutée par son nihilisme. La présence de lunettes est généralisée chez les nobles de l’histoire. S’ils ne portent pas de lunettes, ils arborent des masques de la Commedia dell’arte. Loin d’être fortuite, la présence de cet accessoire souligne le manque de clarté de la vision du monde de Pangloss et Martin, coincés dans leur théorie philosophique, et pour les autres, l’indifférence face à la souffrance du peuple. Comme l’écrit Jessica Poirier-Chang, « ce jeu de perspectives est important parce que c’est une pièce qui parle de notre façon de voir le monde » (Cahier d’automne 2025, Numéro 114, Théâtre Denise-Pelletier). Les mains des nobles, qui ne travaillent pas, sont également cachées par leurs costumes, pour insister sur leur déconnexion du peuple.

Ce thème de l’indifférence des puissants face aux plus vulnérables est l’un de ceux qui font que Candide, malgré sa publication au siècle des Lumières, est une œuvre encore actuelle aujourd’hui, et peut-être même plus que jamais. Ainsi, le chapitre du voyage à Venise où des riches font la fête n’est pas sans rappeler le mariage de Jeff Bezos, tandis que les guerres entre les Bulgares et les Abares, l’incendie causé par le tremblement de terre à Lisbonne et les conflits religieux entre l’Inquisition et les hérétiques ne sont pas si éloignés de nos guerres, nos catastrophes climatiques et nos conflits religieux. Cette résonnance des enjeux du passé avec ceux du présent a inspiré Hugo Bélanger à glisser des références de la culture pop dans sa mise en scène. Ainsi, la famille du Baron, avec ses vêtements tape-à-l’œil, sa richesse ostentatoire et sa destinée tragique, est comme la famille Kardashian, qui raconte ses malheurs à qui veut les entendre pour augmenter sa popularité et sa richesse.

Comme en regardant The Kardashians, le lecteur et le public se moquent de la misère des riches de l’histoire. D’ailleurs, le récit chanté du personnage du frère de Cunégonde a été inspiré du personnage de South Park Big Gay Al, avec sa chanson I’m Super, dans laquelle il dit que tout va mal dans le monde, mais que lui va très bien. Le personnage participe à cette idée de déconnexion entre l’horreur et les malheurs du monde et l’indifférence des riches et puissants, qui ne pensent qu’à s’amuser. Finalement, l’humour absurde et grinçant de cette version de Candide a un côté très Monty Python.

D’autres choix d’adaptation font également écho à notre époque, comme certaines musiques de la trame sonore, le fait de féminiser les rôles de Cacambo et de Jacques l’Anabaptiste et de ne pas jouer certains chapitres qui ont mal vieilli. C’est le chœur, annonçant et commentant avec humour les titres originaux des chapitres du roman, qui refusent de jouer certains chapitres, sous prétexte qu’ils « sont plates ». Ce choix est un peu décevant, car le public perd ainsi une partie de l’œuvre originale, laquelle doit bien sûr être remise dans son contexte d’origine afin d’éviter tout malaise.

Ainsi, comme le peuple des Lumières qui commençait à se poser des questions sur la liberté et le bonheur de l’individu et de la collectivité et à prendre conscience des atrocités du monde, en se demandant quoi faire, le public de 2025 se pose encore les mêmes questions. Faut-il ignorer ou affronter ces horreurs et chercher la lumière? Selon Hugo Bélanger, la dernière phrase du conte « il faut cultiver son jardin », ouverte à plusieurs interprétations, signifie : « Occupons-nous de notre coin du monde, de notre entourage. Faisons quelque chose où l’on se sent utile. Si chacun ajoute sa petite goutte, peut-être qu’on a une chance d’arriver à quelque chose. Les révolutions se font ainsi, alors continuons à rêver et à espérer. » (Cahier d’automne 2025, Numéro 114, Théâtre Denise-Pelletier).

Après tout, n’est-ce pas la fonction première du théâtre et de l’art, de rêver et d’espérer?

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