crédit photo: Sabrina Côté-Poitras
Les Studios de Rouen

Les 20 ans des studios de Rouen | « Un endroit créé pour les musiciens, par des musiciens »

La semaine dernière, l’équipe derrière les studios de Rouen, dans l’arrondissement d’Hochelaga-Maisonneuve, célébrait un cap important : son 20e anniversaire. Construits sur les ruines d’une manufacture de vêtements des magasins Rossi, les studios de Rouen comptent, aujourd’hui, environ 700 musiciens qui se partagent 76 studios loués à l’année, ainsi que Le Nombre 110, une salle multimédia unique, OBNL indépendante rattachée à l’organisation. Tour d’horizon de l’historique et des ambitions d’une équipe particulièrement proche de sa clientèle.

« Oui, c’est une place pour venir pratiquer, mais c’est surtout un espace de création. C’est paisible, c’est un endroit pour décrocher de la vie urbaine de Montréal, mais sans s’isoler. C’est un endroit qui a été bâti par des musiciens dans l’espoir [que les locataires] puissent continuer à être imaginatifs et à avoir de l’inspiration », explique Christian Fafard, cofondateur du Nombre 110, guitariste et client de longue date.

nombre110 20ans soiree4* Photo par Sabrina Côté-Poitras.

Il est vrai que, pour avoir visité d’autres locaux de pratique, les studios de Rouen proposent une offre qui sort du lot : un écosystème vivant, organique. D’abord, les murs sont jonchés de superbes objets (affiches rock d’époque comme instruments de musique originaux), rendant la visite des couloirs agréable. Au rez-de-chaussée, un espace permet aux locataires de se cuisiner de bons petits repas, alors qu’à l’étage, une terrasse, à la hauteur des arbres, offre une fenêtre de répit pour les musiciens, un endroit parfait pour déguster sa choppe de micro en fin de journée, fier du lourd travail accompli. Un studio d’enregistrement de niveau professionnel ainsi qu’un atelier de confection de guitares électriques sont aussi à discerner dans les bâtiments. Le tout, 24h sur 24, sept jours sur sept.

Ross Richard, cofondateur des studios de Rouen avec Richard Gingras et Louis-Charles Houle, constate l’effet d’un espace aussi interconnecté, pratiquement une micro ville en soi, sur les relations entre ses clients.

« On a créé un monde, un peu. Tu te rends compte, à un moment donné, que le bassiste de d’là, c’est rendu qu’il sort avec la drumeuse de l’autre bord. Pis, après ça, ils ont des enfants, et ils sont sur la terrasse ensemble! »

nombre110 20ans soiree45* Photo par Sabrina Côté-Poitras.

Depuis 2011, les studios de Rouen n’ont pas augmenté leur capacité d’accueil. Les fondateurs nous expliquent que, même si l’occasion se présente, ils ne voudraient pas forcément courir sur l’opportunité de grossir ses rangs en ajoutant des locaux de répétition.

« En avoir plus, ce serait plus de gestion, de travail et tout ça. Pis, c’est comme dans n’importe quoi. Quand on en a beaucoup, à un moment donné, la qualité peut s’effriter, détaille Ross Richard. C’est un beau milieu, pis on l’entretient bien, les services sont bons, on est capables d’être cool avec tout le monde. Quand on en a trop, à un moment donné, tu peux quasiment perdre le contrôle. Moi, je considère que c’est bon comme ça », poursuit-il.

Gare au bruit

La situation malheureuse de La Tulipe survenue l’année dernière pourrait en effrayer plus d’un. Alors que la fermeture de la mythique salle sur l’avenue Papineau a prouvé, une fois de plus, la fragilité des institutions culturelles, les fondateurs des studios Rouen, eux, sont plutôt confiants quant à leur droit d’exister.

« Pour l’instant, on se débrouille bien, tant que nos voisins vendent pas, explique Richard Gingras. Si d’un bord ou de l’autre, c’est vendu pis qu’ils font des condos, on va peut-être avoir de la misère, je pense. »

« Mais on n’a aucun mur qui touche à personne! renchérit Ross Richard. On est en règle avec la ville, avec les normes du bruit. On a vraiment fait ça sur la coche» , poursuit-il.

nombre110 20ans11* (De gauche à droite) Christian Fafard, Louis-Charles Houle,  Richard Gingras et Ross Richard. Photo par Sabrina Côté-Poitras.

Le Nombre 110, salle au cœur des studios de Rouen, propose une offre pouvant convenir à tous types de situations. Christian Fafard développe sur ses utilités.

« On accueille beaucoup d’artistes qui viennent préparer leur spectacle pour faire leurs tournées, la fameuse tournée des 40 salles partout au Québec. Parce qu’on est la seule salle qui offre une vraie formule de pré-production. Ça veut dire qu’on offre une scène, avec un vrai système de son et un vrai système d’éclairage, pour donner un réel aperçu de comment le show va sonner dans les salles. » Le Nombre 110 peut également être utilisé pour diffuser en streaming un spectacle sur ses réseaux sociaux, tourner un vidéoclip ou même, simplement, organiser un party!

« On a l’espèce de solution complète pour s’assurer que les artistes passent de musiciens amateurs à de vrais professionnels. On a beaucoup, beaucoup de jeunes qu’on a vu grandir avec les années depuis 15-20 ans », lance Christian Fafard.

Carte blanche

Ariel, projet porté par le musicien Ariel Coulombe, lauréat des Francouvertes en 2009, est résident des studios de Rouen depuis plus d’une dizaine d’années. En 2020, il a décidé de transformer son local de répétition en un studio d’enregistrement qu’il a nommé Manic6. Ariel s’est senti soutenu dans son initiative par les propriétaires du complexe de A à Z.

« Ils ont co-investi avec moi. Ils m’ont vraiment donné les moyens d’en arriver là. C’est une chance, parce que c’est pas tous les complexes de locaux de répétition à Montréal qui sont pilotés de cette façon-là. Ils sont investis dans l’endroit, dit Ariel Coulombe. Il y a des locaux où les propriétaires, on ne les voit jamais, ils sont seulement propriétaires d’un immeuble. Ils ne sont pas conscients de ce que c’est que la réalité des musiciens. Eux [les propriétaires des studios de Rouen], ce sont des musiciens. Tout ici sent l’investissement, l’amour. »

Ariel propose, dans Manic6, autant ses services d’enregistrement que de réalisation d’un album. Par là sont passées, entre autres, Mara Tremblay, Viviane Audet ou encore Atchoum, la rockeuse-clown diablement populaire chez les petits boutchous!

« Tous les styles passent par ici, du hip-hop, de la pop aussi en masse. C’est assez multi-genre. »

nombre110 20ans soiree12* Photo par Sabrina Côté-Poitras.

Arrivé, naïvement, à 17h15 pour croquer dans l’ambiance du 5 à 7 des 20 ans des studios de Rouen, malheur est de constater que l’industrie n’est pas particulièrement ponctuelle. C’est un « 5 à 7 jusqu’à 11 heures », m’a-t-on dit. Bon, comme ça, je le saurai.

Des bouchées et de l’alcool à gogo sont prévus pour les fidèles amateurs de l’organisation venus célébrer ce soir, tout comme des performances sur la scène du Nombre 110, là où la majeure partie des festivités sont installées. Si l’Oiseau de nuit d’Antoine Corriveau ne m’avait pas appelé au Ausgang le même soir, j’aurais pu vous rapporter plus fidèlement la soirée. Mais en voilà, un problème (culturel) de riche à Montréal : on ne sait jamais où donner de la tête, la ville ne dort jamais.

Si seulement je pouvais être omniprésent. Chanceux celui qui, lui, y arrive, chanceux le Damien.

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