Damso en session live au Ninety | Aussi plate qu’impressionnant

Il est 18:00 et je sors d’un spectacle. Je quitte la salle pour rejoindre les trottoirs bondés d’une Montréal diurne sur laquelle le soleil plombe toujours. Ça arrive rarement. En même temps, ça arrive aussi rarement que le spectacle en question soit en fait une session d’enregistrement, devant public, dans une friperie, d’un des plus gros rappeurs de toute la francophonie venu s’allier les talents locaux. Pour mieux comprendre, remontons l’heure un peu.

Il est 14:00.

La rue Saint-Denis bourdonne comme à l’habitude. Mais plus on se rapproche du Ninety, boutique de vêtements de seconde main ayant élu domicile près du coin Marie-Anne, plus on comprend qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Le bourdonnement se transforme en écho. Les mêmes questions se répètent à travers la loooooongue file de jeunes mélomanes qui couvre maintenant Saint-Denis jusqu’à quasiment Mont-Royal : « Tu crois qu’il est arrivé? » « Il va être là pour vrai? » « Moi j’attends depuis 7am, toi? »

Le « il » dans ces phrases, c’est Damso, artiste congolo-belge assis dans les hauts sièges de la scène rap franco depuis des années déjà. C’est d’ailleurs l’immensité du personnage qui fait que beaucoup se posent des questions du type « il va être là pour vrai? ».

Parce qu’il y a quelque chose d’invraisemblable dans cette situation. Oui, Damso a déjà fait une session du genre en France, mais là, on a un artiste de cette envergure qui vient à Montréal non pas pour un concert à la Place Bell ou autre, mais pour un évènement qui non seulement le met à risque (composer un hit à partir de rien, en quelques heures, devant plein de gens, ça se peut que ça se passe mal, tsé), mais aussi dont les retombées ne doivent même pas couvrir le déplacement.

Mais Damso était bel et bien là, de l’autre côté de la vitrine qui était décorée pour l’occasion d’un grand vinyle BYH 2 (teaser de la suite de son album BĒYĀH?).

Il est 15:00.

Les gens entrent au compte-goutte et s’attroupent autour du studio de fortune installé sur le comptoir caisse de la boutique. On reconnaît des visages familiers dans le cercle central – Damso lui-même, les producteurs High Klassified et Freakey!, puis Blynk, l’artiste R&B lavallois qui chantera la pomme aux côtés de Dems sur le morceau à naître.

Pour l’instant, on écoute deux beats en boucle. Le premier porte les tags respectifs d’High Klass et Freakey! et est brut, lourd, trap. Le deuxième est plus mollo, dancehall. Blynk s’assoit près du micro et pose des toplines sur les deux instrus. Les gens hésitent. Quel beat choisir? Damso demande à la foule présente.

Le vote est compté. Dancehall ce sera.

L’instrumentale joue en boucle pendant que les artistes entrent dans leur zone. Le public, silencieux, profite du moment pour regarder autour. Au lieu des manteaux Marlboro et jeans Levi’s seconde-main qui décorent d’ordinaire la boutique se trouvent aujourd’hui tout un tas d’artéfacts à l’effigie de BĒYĀH – chandails, vinyles, vinyles version deluxe, CDs, cassettes.

COUP D’ÉCLAT. UN TROISIÈME BEAT SORT DE NULLE PART.

Tout aussi dancehall que celui qu’on écoutait déjà, mais plus sirupeux.

Blynk s’installe et se met à chanter du yogourt pour trouver sa mélodie. Damso se penche sur son téléphone et commence à taper ce qui, on devine, deviendra son verse. C’est parti. Beat numéro 3 l’emporte.

Mon cœur est un peu brisé. On reconnaît, sur ce beat numéro 3, le tag de Boumidjal X, producer français accumulant les plaques, aux côtés de Damso entre autres, depuis plusieurs années déjà. Le patriote en moi aurait souhaité qu’un des sons de nos producteurs locaux l’emporte. Mais bon. Telle est la game.

La véritable session d’enregistrement s’entame alors. Le public rotationne aux 30 minutes – le groupe présent quitte, un nouveau groupe entre. Le tout, dans un silence abbatial.

Oh oui, je ne l’ai pas précisé, mais pendant que les artistes enregistrent, on n’entend pas le beat. Tout se passe dans leurs écouteurs. Nous, public, sommes laissés dans un néant a capella.

Blynk reprend chacune de ses phrases 10 ou 20 fois pour être sûr d’avoir la tonalité parfaite, pendant que l’ingénieur de son (le véritable héros de la journée) monte le tout à mesure.

J’vais le dire, présentement, c’est un peu plate.

Il est 16:00.

Blynk a posé son couplet et ce qu’on pense être un refrain. Damso se lève. Tout le monde retient son souffle. Il demande à son assistant de démarrer son chronomètre. Puis il met les écouteurs et commence à murmurer au micro.

C’est pas une exagération. Il murmure. Souffle les mots. Au point où on peine à les décrypter, alors qu’on est pourtant juste à côté de lui et qu’il n’y a pas un traitre son aux alentours.

Fait que là, j’ai Damso qui susurre des adlibs en secret à un micro, dans un silence angoissant.

J’vais le redire, présentement, c’est un peu plate.

Il est 16:24.

L’assistant de Damso vient lui dire qu’il reste 5 minutes au chrono. « Oh moi j’ai fini, mec », rétorque Damso, tout sourire.

L’ingénieur place quelques derniers trucs et met enfin le résultat de ce qui vient d’être enregistré sur les speakers de la boutique (qui ne sont tellement pas fait pour ça, malheureusement).

Il est 16:26.

Un hit est né. Un hit improvisé. Un hit dont le refrain sera finalement Damso qui chantonne « Oh na na na naaa, MTL ».

Le patriote en moi est ravivé.

*Je dis que le hit est né, mais il reste tout de même des ajustements à faire. C’est ce qui sera fait pendant le reste de la session. Le meilleur ajustement? On fera chanter le refrain au chanceux groupe présent à ce moment, qui verront leurs voix cimentées à tout jamais dans ce futur tube.

En résumé, l’expérience fut aussi plate qu’elle fut impressionnante. Ça nous a permis de comprendre à quel point Damso était un monstre de la composition, ça nous a permis de découvrir Blynk, et ça a permis à une poignée de jeunes fans d’être plus proches de leur idole que jamais. Pour les curieux, la session est disponible en pay-per-view sur les plateformes de Damso.

Et pour le gars qui a essayé de rentrer dans la boutique pour venir chercher sa commande, sorry bro, tu repasseras demain.

 

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