Saison 2019-2020 du Théâtre du Nouveau Monde | Au-delà de la parité et plurielle
Pas de quoi mobiliser la gent masculine, mais la prochaine saison du TNM déboute tout appel à la parité, puisque sur les 60 comédiens qui fouleront ses planches la saison prochaine, 33 sont des femmes pour seulement 27 hommes. Chez les concepteurs, on retrouvera également 33 conceptrices. Lorraine Pintal, la directrice artistique qui signe sa 27e saison à la barre du plus national de nos théâtres, prend les devants pour que l’institution soit bien de son temps. Et on embarque avec elle, complètement.
« C’est un projet que j’ai voulu féminin, bien sûr, mais axé aussi sur la diversité culturelle », disait Lorraine Pintal en parlant de Lysis qu’elle mettra en scène en avril 2020, une création moderne de Fanny Britt et d’Alexia Bürger d’après Lysistrata, « pièce politique » d’Aristophane. Pas moins de 15 comédiens seront en scène, dont Anne-Élisabeth Bossé, Pierre Curzi, Widemir Normil, David Savard, Marie Tifo, et Monia Chokri dans le rôle-titre pour sa première présence au TNM. Un texte annonciateur, qui remonte à près de 2 500 ans, et dont les deux auteures ont conservé sensiblement la même trame dramatique, soit celle d’une grève du sexe par les femmes aussi longtemps que les hommes n’auront pas renoncé à faire la guerre. Philippe Brault signera la musique, alors que Marie Tifo incarnera un coryphée nouveau genre.
« Je n’ai encore rien lu du texte, avouait candidement Marie Tifo. Je m’abandonne complètement, dans une absolue confiance en Lorraine pour qui je jouerai dans une 15e production. Je n’ai pas perdu la flamme, mais il faut que ça m’intéresse, que ce soit signifiant. Et on a quelque chose à dire avec cette pièce-là. Moi, la communauté, le travail d’équipe, j’aime ça. »
La saison débutera néanmoins avec une pièce de gars, Knock ou le Triomphe de la médecine de l’auteur français Jules Romains. Le personnage du docteur Knock, créé par Louis Jouvet en 1923, sera rendu par Alexis Martin, un comédien proche de Daniel Brière qui signera là sa première mise en scène au TNM. Évelyne de la Chenelière, Marie-Thérèse Fortin, Pierre Lebeau, Didier Lucien et Sylvie Moreau complètent la distribution de cette comédie féroce ayant pour devise : « Les gens bien portant sont des malades qui s’ignorent ».
Suivra en novembre Fleuve, une adaptation pour la scène par Sylvie Drapeau de sa tétralogie romanesque largement autobiographique : Le Fleuve, Le Ciel, L’Enfer et La Terre. « C’est la metteure en scène Angela Konrad qui a eu l’idée d’en faire un spectacle, affirme Sylvie Drapeau. On a fait des choix, je n’ai rien réécrit, surtout qu’Angela s’intéressait à la narrativité au théâtre. Puis, Lorraine m’a parlé en bien de mon écriture. Moi, ça va par le cœur. Si Lorraine me dit qu’elle a été touchée par ce que j’ai écrit, c’est une porte qui s’ouvre par le cœur. C’est fou et c’est merveilleux à la fois! »
La Divine Drapeau jouera la Femme, aux côtés de la Petite à cinq ans et de la Jeune Femme. Un chœur de figurants représentera la famille dans cette histoire où les mots sont sculptés dans le sable et le sel. L’intrigue commence par une tragédie : la noyade devant ses yeux du frère aîné, emporté par la marée sournoise du fleuve Saint-Laurent de sa Côte-Nord natale. Une blessure à vie, difficile à transposer au théâtre, mais qui la réconforte, comme si c’était possible. « Quand je joue, soutient Sylvie Drapeau, j’appartiens totalement à ce que je joue. Je ne pense à rien d’autre. C’est là qu’on est pur. »
En janvier 2020, le metteur en scène Normand Chouinard ramènera, 30 ans plus tard, l’opéra romantique Nelligan écrit par Michel Tremblay sur la musique d’André Gagnon dont on s’inquiète pour sa santé actuellement. C’est le ténor Marc Hervieux qui chantera le rôle de Nelligan Vieux, et le baryton Dominique Côté celui de Nelligan Jeune, dans cette distribution à 15 comprenant aussi Kathleen Fortin et Jean Maheux. Le qualifiant de « poète national », Normand Chouinard disait vouloir poser cette question simple à propos de l’internement d’Émile Nelligan avant même ses 20 ans: « Que s’est-il passé? »
Une belle surprise nous attendra au printemps avec Les trois sœurs, une première incursion pour René Richard Cyr dans l’univers de Tchekhov. C’est même lui qui a établi le texte français de la pièce. Pour jouer les sœurs Olga, Macha et Irina, Cyr a choisi Évelyne Brochu, Noémie Godin-Vigneau et Rebecca Vachon qui du fond de la steppe russe où les a confinées leur père général d’armée, ne rêvent que de retourner à Moscou qu’elles idéalisent. Christian Bégin, Émilie Bibeau, Éric Bruneau, et un fidèle de RRC, Benoît McGinnis, sont de la distribution.
Réjean Ducharme à l’honneur
Mais, il faudra être patients et attendre jusqu’en juin 2020 pour découvrir la périlleuse adaptation par Lorraine Pintal du premier roman publié de Réjean Ducharme en 1966, L’avalée des avalés, révélant tout le génie du mystérieux écrivain fantôme qui nous a quittés depuis peu. Conformément au désir de l’auteur, selon quoi le contexte doit rester intimiste, les 400 spectateurs à la fois seront disposés dans des gradins sur la scène même du Théâtre du Nouveau Monde, derrière le rideau baissé. C’est le cinéaste sensible, Charles Binamé, qui a conçu la scénographie faite de rebuts et d’objets divers, à la manière des « trophoux » de Roch Plante.
Le radical et revêche personnage de Bérénice Einberg, que tout avale, sera joué par la jeune Sarah Laurendeau, alors que son frère Christian auprès de qui elle cherche l’absolu en amour sera interprété par Benoît Landry, et sa mère, qu’elle appelle Chat Mort quand ce n’est pas Chamomor, par la grande Louise Marleau. La même distribution donc que pour la création de la pièce l’été dernier à Avignon et sa reprise ensuite à Paris où elle a été encensée par la critique et un public subjugué. « C’est un auteur très déconcertant, et c’est extraordinaire de le redécouvrir, de continuer de creuser la profondeur du texte », renchérissait Louise Marleau qui joue Ducharme pour la première fois. « Lorraine a pensé à moi en disant qu’elle m’avait toujours vue dans le rôle de Chamomor, je ne sais pas pourquoi. Ça faisait des années qu’elle m’en parlait.
« C’est vraiment un spectacle formidable, qui parle beaucoup aux mères. Autant à Avignon qu’à Paris, les mamans me prenaient dans leurs bras après la représentation. C’est terrible le sort réservé à la mère dans la pièce, c’est vraiment dur. Moi-même j’ai une fille, et je pensais souvent à elle ».
Enfin, en tant que spectacle hors-série en rappel dès octobre 2019, se tiendront dix représentations exceptionnelles de La détresse et l’enchantement, adaptation par Marie-Thérèse Fortin et le metteur en scène Olivier Kemeid de l’autobiographie de Gabrielle Roy parue un an après la mort de la grande écrivaine.
Une nouvelle salle pour le TNM
Et tous attendent l’annonce officielle imminente des travaux d’agrandissement du TNM qui se verra ajouter une nouvelle salle portant le nom de Réjean Ducharme. Dans son testament, l’immense écrivain a choisi de verser ses droits d’auteur à ce théâtre où Lorraine Pintal a gardé sa langue bien vivante en montant au fil des ans ses pièces Ha ha!…, Inès Pérée et Inat Tendu et L’Hiver de force. Des travaux majeurs, avec un budget de 20 M dont 4 M en financement privé, auquel il ne manque que l’apport de Patrimoine Canada, ce qui pourrait débloquer dès le mois de mai, comme le souhaite Lorraine Pintal, après toutes ces longues années d’attente.
« En plus d’agrandir les bureaux où nous sommes entassés les uns sur les autres, on construira un débarcadère, ce qui n’est pas une mince affaire, mais ça nous donnera des entrepôts et des ateliers en médiation culturelle et en art thérapeutique. On déplacera aussi notre costumier au paradis, avec un nouvel ascenseur pour s’y rendre. Et enfin, on fera tout un lifting à la façade vieillissante du théâtre pour lui donner le vernis du Quartier des spectacles ».
- Artiste(s)
- Théâtre du Nouveau-Monde
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre du Nouveau-Monde
Vos commentaires