SisterS

Montréal complètement Cirque 2018 | La poésie théâtrale de SisterS (des soeurs De Sela)

Si vous attendez du cirque des performances incroyables et des acrobaties vertigineuses, n’allez pas voir SisterS. En revanche, si vous cherchez un moment de tendresse, de poésie et un univers très particulier développé par des artistes complices, foncez.

La compagnie de cirque Les 7 Doigts est connue pour ses spectacles poétiques au possible et finalement assez peu acrobatiques. SisterS, malgré de très beaux moments de performance circassienne, ne déroge pas à la règle. Ce conte théâtral est plutôt doux et lent. On assiste à l’intime relation entre deux sœurs, Ayin et Miriam de Sela, depuis leur naissance jusqu’à leur mort. La réalité traverse la fiction puisqu’on comprend au premier regard que les deux circassiennes sont effectivement sœurs : mêmes cheveux, mêmes traits du visage.

Pendant une heure, les deux sœurs explorent leur relation, leurs différences, leurs désirs et leurs doutes. Elles sont accompagnées sur scène par un homme mystérieux, incarnation du destin. Tout habillé de noir, il s’amuse à les séparer, à les habiller et à leur attribuer des rôles. Dans SisterS, les artistes explorent deux personnages vraiment différents, aux réactions quasiment opposées. Difficile de ne pas se retrouver dans ces rivalités de sœurs, de frères ou de famille.

Totalement intégrée au spectacle puisque les circassiens interagissent avec elle, la harpiste et chanteuse Sarah Pagé (qui avait accompagné Lhasa en tournée, et fait maintenant partie des Barr Brothers) joue une grosse partie de la musique en direct. Les sonorités sont oniriques. La musicienne explore tout le potentiel de son instrument : elle utilise des archets, une boîte de résonance, ou encore les harmonies de l’instrument pour créer une ambiance totalement hypnotique. Cette artiste est une amie de la troisième sœur, disparue, de la famille, soit Lhasa de Sela. La musique jouée est très proche de celle que Lhasa inventait.

SisterS est un spectacle qui donne des frissons, mais dont il faut accepter le déroulement. Pendant une grosse moitié de temps, la performance est entièrement théâtrale : les sœurs naissent, se découvrent en se touchant, s’éloignent dans un dialogue décousu, toujours sous l’œil attentif du Destin — qui est tout de même perché en haut d’un mât chinois, mais qui n’en bouge que pour apporter des accessoires aux deux femmes. Il n’y a pas beaucoup de performances bondissantes et survoltées comme on voit aujourd’hui au cirque. Mais le spectacle est une magnifique démonstration d’art théâtral : on suit les personnages à travers des scènes souvent muettes, dans un décor de conte de fées qui ne nous livre pas tous ses secrets. On explore avec les sœurs ce monde onirique ou cauchemardesque.

La fin de la pièce est plus dynamique : une des sœurs et le Destin, qui a changé de rôle pour prendre celui d’un homme amoureux, déploient de nombreuses acrobaties impressionnantes. On assiste à des jeux d’équilibre entre les deux (la sœur finit par tenir tête contre tête sur l’amoureux, à la verticale !), à un beau numéro de mât chinois et à des danses d’une souplesse impressionnante. Mais le contraste entre les deux parties est délicat à saisir ; on aurait sans doute préféré que ces numéros acrobatiques soient intégrés à plusieurs reprises dans le spectacle plutôt que de les voir tous groupés dans la deuxième moitié. Cela rend forcément la première partie un peu longue pour de nombreux spectateurs.

Avec ses qualités et ses défauts, SisterS est un spectacle qui touche beaucoup, pour peu qu’on accepte de s’engager dans un univers inconnu. La musique est vraiment magnifique; l’histoire racontée est compréhensible et touchante. Il faut, pour assister au spectacle, s’affranchir des aprioris que l’on a du cirque et accepter une performance intime, lente et mystérieuse.

Consultez cette entrevue avec Gypsy Snider pour en savoir plus sur la création de SisterS :

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