Norge de Kevin McKoy à l’Espace Go | Le Nord appelle le Nord
« On est toujours l’étranger de quelqu’un… », chantait la grande Pauline Julien. Obsédé par sa propre ascendance, Kevin McCoy, auteur, metteur en scène et comédien qui a travaillé notamment avec Robert Lepage, n’échappera pas à son destin. Né à Chicago, ville qu’il a quittée pour venir rejoindre son amant à Québec il y a maintenant vingt ans, Kevin McKoy a su transposer habilement au théâtre la quête de ses origines norvégiennes.
Norge, soit Norvège en langue norvégienne, veut dire « le chemin vers le Nord ». La pièce s’ouvre d’ailleurs par un extrait en norvégien du poème Soir d’hiver d’Émile Nelligan. « Ah, comme la neige a neigé… » a écrit notre poète emblématique, à quoi McKoy répond « j’ai appris qu’ici la neige est un état d’âme ».
C’était plus fort que lui, plus fort que tout. En apprenant que sa grand-mère maternelle avait quitté le petit village perdu de sa Norvège natale, à 1 000 kilomètres au Nord du cercle polaire, partie seule à 14 ans pour aller vivre aux États-Unis en 1919, il a voulu en apprendre davantage sur cette femme qu’il mystifie, et ainsi recoudre les mailles du filet familial.
Dès l’ouverture de la pièce, on entend dans le noir le sifflement incessant du vent froid d’hiver qui se déchaîne. Dans ce qui deviendra ensuite à la scène un monologue d’autofiction, le comédien au fort accent raconte dans le menu détail sa propre histoire, son questionnement, son appartenance, sa quête identitaire, au-delà de tout le mystère de la vie de cette grand-mère qu’il n’a jamais connue.
Non sans naïveté, parfois même sur un ton anecdotique, Kevin McKoy est doué d’un charisme puissant, voire irrésistible, cette qualité rare chez un acteur qui fait que le public est tout de suite conquis par sa candeur et sa véracité.
Parler d’exil, de déracinement et de retour aux sources ne se fera pas sans redécouvrir et mettre en valeur de grands artistes norvégiens, à commencer par le dramaturge Henrik Ibsen, le compositeur Edvard Grieg et le peintre expressionniste Edvard Munch, dont on peut voir quelques toiles défiler sur l’écran en fond de scène, parmi lesquelles son célèbre Le Cri.
On apprend d’ailleurs que c’est Grieg qui a composé la musique du célèbre drame Peer Gynt d’Ibsen. On apprend aussi que la Norvège a acquis par référendum son indépendance en 1905, mettant fin à une monarchie constitutionnelle et des siècles de domination culturelle scandinave, surtout par Copenhague et ce puissant voisin danois. Grâce à la dextérité des projections conçues par Lionel Arnould, soutenant le récit sans détourner l’attention, on peut par magie se retrouver dans le Vieux-Port d’Oslo, en quête différée de nos propres origines.
Mais, Kevin McKoy n’est pas seul en scène. Le fil narratif de Norge est accompagné tout du long au piano par Esther Charron, une collaboration intime qui s’est installée dans les suites d’une heureuse rencontre dans un café de Québec. La pianiste a puisé judicieusement, entre autres, dans les Pièces lyriques pour piano solo de Grieg dont les titres, comme Fantôme, Soir dans les montagnes, Danse des elfes, Élégie ou encore Au berceau, sont déjà en eux-mêmes des poèmes. L’imposant piano à queue se transformera même en bateau pour les besoins de la mise en scène.
Norge, avec son histoire très personnelle d’éternel immigrant à la recherche de son aïeule norvégienne, a été créée l’année dernière au Trident à Québec où la pièce a reçu le Prix des abonnés. Loin de ses choix artistiques habituels, il convient de souligner le bonheur de sa programmation à l’Espace Go.
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