École nationale de cirque | Deux spectacles époustouflants par les finissants de la cuvée 2016
Ils sont beaux, ils sont jeunes, impétueux, fonceurs, déterminés, frais émoulus, passionnés et à vif, ne demandant qu’à offrir leur talent si durement acquis, ils ont la vie devant eux. Ce sont les 28 finissants de l’École nationale de cirque qui viennent de présenter à la TOHU leurs deux tout premiers spectacles, Demain et Colibri, qui sont déjà de niveau professionnel.
L’École nationale de cirque de Montréal est la plus importante institution de formation supérieure en arts du cirque des Amériques. Elle est en même temps un établissement d’enseignement secondaire et collégial, mais avec la mission première de former des artistes de cirque. Même que l’École forme aussi bien les professionnels de l’enseignement des arts du cirque.
Elle fait partie de cet ensemble dont nous pouvons être fiers et qui est la Cité des arts du cirque. Véritable carrefour international voué à la diffusion, la production, la création et l’enseignement des arts du cirque, la Cité regroupe, outre l’École nationale de cirque, le regroupement national des arts du cirque En piste, le siège social international du Cirque du Soleil, des résidences pour les étudiants, et le pavillon de la TOHU, la toute première salle de spectacle circulaire au Canada.
Depuis sa fondation en 1981, soit en 35 ans, l’ÉNC a formé pas moins de 500 artistes circassiens qui aujourd’hui travaillent dans les plus grands cirques à travers le monde. En fait, 95% des diplômés se trouvent du travail en arts du cirque dès les premiers mois de leur sortie de l’École.
En 2015-16, les étudiants de l’ÉNC provenaient d’une vingtaine de pays. C’est dire la bonne réputation de l’École dans le monde et son pouvoir d’attraction, même pour les instructeurs et formateurs de cirque qui sont au nombre de 15 cette année seulement.
Un chaînon circassien important
Pionnière du cirque renouvelé au Canada et en Amérique du Nord, l’École a largement contribué à l’émergence de compagnies de cirque aussi prestigieuses que le Cirque du Soleil (plus d’une centaine de diplômés dans ses différents spectacles dans le monde), le Cirque Éloïse (cofondé par deux diplômés de 1990, Jeannot Painchaud et Daniel Cyr) et Les 7 doigts de la main (cinq des sept membres fondateurs sont des diplômés de l’ÉNC, et on en retrouve une bonne vingtaine répartis dans ses spectacles).
L’équipe pédagogique regroupe plus de 80 enseignants qui proviennent des secteurs des arts du cirque, des sports acrobatiques, des arts de la scène et de l’éducation académique, encadrant annuellement quelque 150 étudiants. Son édifice au cœur de la Cité des arts du cirque, avec 7 200 mètres carrés, permet de vastes salles d’apprentissage équipées en fonction de toutes les disciplines, offrant même aux étudiants un service d’hébergement complet, ce qui la rend unique au monde.
Alors, devenir finissant et diplômé de l’École nationale de cirque de Montréal est tout un accomplissement. Pour bien les lancer aussitôt, deux metteurs en piste montent avec les finissants deux spectacles de fin de session, bouillonnants d’énergie, point culminant de leur formation avec des productions déjà de niveau professionnel.
Demain et Colibri
Cette année, ça aura été Demain, une mise en piste de Marie-Josée Gauthier, et Colibri, mise en piste d’Edgar Zendejas. Deux spectacles en alternance absolument époustouflants qui ont attiré quelque 17 000 mordus dans l’enceinte sacrée de la TOHU.
Demain en a mis plein la vue avec ses numéros chorégraphiés et en costume dans les disciplines suivantes : fil de fer, main à main, cerceaux skate, cerceaux chinois, jonglerie, équilibre, planche sautoir, trapèze danse, duo trapèze, diabolo, et enfin, planche coréenne. À quoi s’est ajouté un numéro de planche à roulettes tout à fait inédit, et qui risque fort d’être repris autrement ailleurs. Les costumes de Michael Slack sont à souligner, en particulier cette sorte de jupe noire qu’il faisait porter aux garçons et qui leur donnait un aspect de centaures sortis tout droit d’un film fantastique.
Et puis, on est à même d’évaluer la somme de travail, sans cesse recommencé, pour en arriver à une telle chose qu’un homme debout à l’envers en équilibre avec sa tête sur celle de son partenaire, sans autre point d’appui?
Le numéro de duo trapèze de Mélanie Dupuis et Alexander Taylor, en plus d’être d’une adresse parfaite, dégageait une grande sensualité, belle et tangible, comme le satin blanc et la peau luisante qui laissaient simplement sans mots, béats d’admiration devant tant de beauté acrobatique aérienne.
Rencontré en entrevue lors d’une présentation d’extraits de Demain à la presse, Alexander Taylor, racontait qu’il est né à Waterloo, près de Toronto, mais qu’il a grandi à Gatineau. Il est venu s’établir à Montréal spécialement pour l’École nationale de cirque où il aura fait quatre ans. «Normalement, c’est trois ans, disait-il, mais nous avons la possibilité de prendre un programme préparatoire.» Il se rappelle son audition avec un petit pincement : «Tu passes ton audition dans la discipline que tu souhaites. Moi, c’était en trapèze solo, mais avec la possibilité de travailler en duo. Et j’ai eu la chance de rencontrer ma partenaire ici même à l’École.»
De belles évocations parcourent Demain, comme l’accordéon dans un numéro de saltimbanques, ou une voilure blanche attachée à un câble lui donnant l’allure d’un voilier, quand ce n’est pas une jonglerie ahurissante avec six quilles, comme s’il s’agissait d’un jeu, tellement le talent est assumé. Les nombreux extraits musicaux font corps aussi avec ce qui nous est donné à voir, ébahis.
Même envoûtement pour Colibri où en plus des 12 finissants de l’École se sont joints 14 étudiants de 2e année, ce qui fait qu’à certains moments participaient pas moins de 26 artistes à cette mise en piste à la conception inventive d’Edgar Zendejas. Comme quoi la formation de l’ÉNC est complète, nous retrouvions dans ce deuxième spectacle des disciplines qui ne faisaient pas partie du premier, comme la roue Cyr, l’échelle, le trapèze danse, le main à main en groupe, les sangles aériennes et le tissu.
Rareté féminine…
Fait à noter, il n’y a que cinq filles parmi les 28 finissants. Ce qui demandait plus de force par rapport au poids qui excédait celui d’une fille dans les figures où il fallait porter un ou plusieurs partenaires.
Hugo Ragetly a livré une performance incomparable dans son numéro très complexe de jonglerie avec balles, comme s’il s’amusait. En entrevue, il confiera que son nom est d’origine suisse et autrichienne du côté de son père et polonais du côté de sa mère. Il n’a que 23 ans. Il n’était jamais venu à Montréal.
«J’ai passé les auditions à Paris, disait-il, et j’ai eu une réponse rapidement. Ça m’intéressait vraiment de voyager vers une école hors de France. J’avais fait déjà deux ans à l’École préparatoire de cirque en France. J’avais envie de partir, soit pour Stockholm, Montréal ou Bruxelles, et je n’ai jamais regretté mon choix.
«En deuxième année, on aborde une seconde discipline; j’ai pris le mat chinois, ce qui fait que j’avais 10 heures de jonglerie par semaine et cinq heures de mat chinois.»
Ce qui me plaît dans ce métier d’artiste de cirque, c’est que je vais apprendre toute ma vie. J’ai envie de questionner mon rapport à une discipline, de travailler sous différents angles, toujours avec le but de provoquer l’imaginaire du spectateur. – Hugo Ragetly
Là encore, le manque de filles faisait en sorte qu’on retrouvait six garçons dans une même figure. Mais, avec les étudiants de 2e année qui sortaient de dessous la piste en rampant, on ne savait plus où regarder. Certains tableaux n’ont pas manqué de déclencher des applaudissements spontanés, et leur lot de petits cris et de rires d’enfants.
Vladimir Lissouba, qui a passé quatre ans à l’École, a découvert le cirque sur tard, comme en témoignent ses 26 ans. Né d’une mère française-congolaise et d’un père russe, il a grandi à Montréal à partir de 7 ans. Avec son physique taillé au couteau qui l’avantage, il a choisi le main à main, mais en le réinventant. Il est porteur, parce qu’il en a la carrure. C’est donc lui en-dessous qui porte et qui reçoit son partenaire, tout en étant aussi acrobate.
«Je ne savais rien du cirque, a-t-il avoué avec sa voix douce et son sourire charmeur. J’ai commencé à bouger à 15 ans quand j’ai découvert le parkour et le free running, dans les parcs, dans les rues et tout ça. Je faisais des études en programmation informatique et en ingénierie, tout en continuant le parkour. C’est alors qu’un metteur en scène a proposé de m’engager pour le Festival Montréal Complètement Cirque. C’est là que j’ai découvert le monde du cirque. Je ne savais pas qu’on pouvait choisir un métier comme celui-là. Le cirque est rapidement devenu ma passion. J’ai découvert d’autres gens qui pouvaient vivre de leur passion, et j’ai voulu apprendre.»
Et l’avenir?
Que réserve l’avenir aux 28 nouveaux gradués de l’École nationale de cirque de Montréal? Combien, tout feux tout flammes, seront recrutés par des compagnies internationales comme Dragone, CIRCA, Cirque Monti, Cirque Starlight ou Cirque Plume? Combien d’entre eux connaîtront une carrière internationale?
«Un des points forts de l’École ici, disait Alexander Taylor, c’est qu’elle nous prépare à la suite, en nous fournissant des contacts, de la visibilité, et en nous montrant comment faire des démarches et des approches. Nous sortons de l’École avec un numéro fort et une bonne connaissance du milieu du cirque.»
Son tandem sera à l’affiche des toujours spectaculaires Minutes Complètement Cirques, un spectacle déambulatoire du Festival Montréal Complètement Cirque qui envahit la rue Saint-Denis et se déplace au Parc Émilie-Gamelin. Après? «C’est ça la magie, disait Alexander Taylor, on peut planifier un truc quelques mois d’avance, ou bien recevoir un appel disant on a besoin de vous la semaine prochaine en Chine, êtes-vous disponibles?»
Et pour Vladimir Lissouba? «Je vais participer aux Minutes Complètement Cirque pour une sixième fois d’affilée. Après, je pars pour l’Allemagne, à Bonn, pour participer à une formule de de dîners-cabaret. J’ai un contrat de quatre mois. Il y a tout un réseau sur ce modèle en Allemagne. Après, je ne sais pas…».
Hugo Ragetly lui a eu la chance d’être engagé avec quatre autres finissants par la compagnie Les sept doigts de la main qui prépare un tout nouveau spectacle. «On commence le travail le 4 juillet, disait-il, pour trois mois et demi, dont un mois en résidence à la TOHU. C’est un contrat de deux ans, ce qui fait que pour les deux prochaines années de ma vie, je sais ce qui va se passer. Après, on ne sait pas. C’est la beauté du métier.»
L’ÉNC participe régulièrement à de grands festivals, comme le Festival Mondial du Cirque de Demain de Paris, Wuuqai en Chine, ou encore Auch ou Tournai en France, ses étudiants ou diplômés s’y étant mérité de nombreuses récompenses au cours des vingt dernières années. Et puis il y a Un loup pour l’homme, le Cirque Trotola et le Cirque Le Roux, trois compagnies fondées par des diplômés de l’École et établies en France, comme autant de portes d’entrée.
Ajoutons qu’en juillet, sous l’égide de l’École nationale de cirque, un camp d’été intensif donne la possibilité à une centaine de jeunes entre 9 et 17 ans de vivre l’expérience de la formation professionnelle en arts du cirque. Après? C’est la beauté du métier…
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