Festival Actoral

3e Biennale internationale Actoral Montréal 2018 | Un miroir de l’avant-garde en arts vivants

Actoral est le fruit d’une rencontre fortuite entre Danièle de Fontenay, cofondatrice et directrice artistique de l’Usine C, et Hubert Colas, auteur français, metteur en scène, et directeur d’Actoral Marseille depuis 2001. La 3e édition à Montréal de cette manifestation hors-normes, si essentielle à l’émergence d’artistes précurseurs, se voit ajouter cette année la participation de la Belgique et des Pays-Bas à la France et au Canada. Une proposition artistique hétéroclite comme il se doit, comprenant 26 représentations, dont 10 créations ici devant un public fin connaisseur des tendances avant-gardistes.

Pour la première fois, Actoral 2018 sort de son refuge initial à l’Usine C pour s’allier au Théâtre La Chapelle Scènes contemporaines et à la librairie Le Port de tête. Même qu’après un détour par Rouyn-Noranda pour la Biennale d’arts performatifs locale, une sélection d’Actoral se déplacera également à Ottawa du 8 au 10 novembre, avec la complicité de La Nouvelle Scène et du Théâtre du Trillium.

Unique en son genre, l’événement recoupe la diversité des écritures scéniques contemporaines au service des nouvelles technologies. Ainsi, Hubert Colas est venu présenter sa propre démarche créatrice avec un spectacle inclassable intitulé Désordre dont il est l’auteur, le metteur en scène, le scénographe et le concepteur des lumières.

* Photo par Hervé Bellamy.

Suivant une trame narrative complètement éclatée, avec des voix traitées électroniquement et au regard d’une grande horloge dont les aiguilles tournent à reculons, il y est question du refus de la parole, de formules et de critères d’approches envers l’autre, du poids de la solitude, de genre, de migration intérieure et d’invasion du territoire, de domination masculine du langage, de la couleur de la douleur, quand ce n’est pas de la flexibilité des peupliers ou d’une salade aux haricots verts. Le summum de l’inventivité scénique étant ici ce fauteuil de dimension réduite qui parle et se déplace tout seul, tel un drone.

Plus ésotérique, Silence provisoire est né de la collaboration entre le musicien et metteur en scène français Clément Vercelletto et l’auteure québécoise Marianne Dansereau. Le son encore là est traité, jusqu’à frotter un micro sur des lignes tracées au sol. Un étrange personnage bardé de clochettes sur tout le corps, jusque dans la barbe et ses longs cheveux, entre très lentement en scène, affublé d’une jupe à plis bordée de dentelle rose. La musique, très présente, est faite de sons arrachés au silence, c’est-à-dire à la mort.

Au Théâtre La Chapelle Scènes contemporaines, on aura pu voir Hot Bodies – Stand-Up, une performance musicale du Français Gérald Kurdian. Sans avoir la tête de l’emploi, c’est le moins que l’on puisse dire, avec sa barbe de rabbin et ses lunettes tout ce qu’il y a de plus straight, l’artiste exhibant son chest poilu et ses ongles vernis, explore avec humour et physicalité divers aspects de sa sexualité en tant que « transductions musicales et performatives des alternatives politiques queer, fétichistes ou écosexuelles », nous dit le programme.

Invitant le public à venir l’entourer sur scène, Gérald Kurdian parle, chante, danse, se donne au plus offrant, mais son réquisitoire, comme ces images de limaces jaunes qui s’enlacent, ne mènera nulle part.

C’est aussi le cas de la bien trop longue performance étalée sur cinq heures, Fléau, conçue par « l’enfant terrible de la danse québécoise » Dave St-Pierre, et Alex Huot, deux amants dans la vie comme sur cette scène interrogeant avec faiblesse les relations de couple. Ils sont nus comme un ver, allongés de dos au sol quand on entre. Chaque mouvement, chaque situation, chaque immobilisme, sont étirés au maximum, ce qui devient vite lassant. En fait, il y a si peu de contenu artistique à proprement dire dans Fléau que l’exercice relève davantage d’une poussée exhibitionniste pour voyeurs avertis.

Actoral, qui se poursuit jusqu’au 3 novembre, paraît avoir gardé le meilleur pour la fin. Il faudra donc surveiller Affordable Solution for Better Living, titre anglais comme c’est la tendance en France, avec l’artiste plasticien Théo Mercier et le chorégraphe Steven Michel. Sur un texte de Jonathan Drillet, cette performance en théâtre et danse explore la dépossession de la société moderne, utilisant le corps comme le parfait kit d’assemblage compliqué d’un meuble Ikea.

* Photo par Erwan Fichou.

Enfin, viendra de Belgique Ghost Writer and the Broken Hand Break, à la croisée de plusieurs disciplines. L’artiste visuelle Miet Warlop qui a conçu l’œuvre, est également du nombre des trois interprètes, ainsi que parolière. Elle créera in vivo des objets sculpturaux où « instruments et matériaux sont sollicités comme autant de définitions possibles de l’acte artistique ».

* Photo par Marc-Antoine Serra.

Car c’est bien la notion même d’acte artistique, au sens large comme du plus obtus, que questionne Actoral. En constante mutation, aveuglé et nourri d’audace de par le fond, la forme et l’avancement des outils technologiques, tous risques encourus, l’acte artistique se façonne au gré des limites sans cesse repoussées des créateurs en arts vivants.

 

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