1984 de George Orwell au Théâtre Denise-Pelletier | Entrevue avec Maxim Gaudette

Le roman culte de George Orwell, 1984, a été écrit au sortir de la Deuxième Guerre mondiale en 1948. L’auteur avait choisi d’inverser les deux derniers chiffres de la date, pour situer son roman d’anticipation très loin dans le futur. Mais le roman, prophétique, est resté depuis étonnamment actuel. Un film en a été tiré par Michael Radford avec John Hurt et Richard Burton. Mais c’est la première fois que le roman est adapté au théâtre, dans une traduction de Guillaume Corbeil, cette fois avec Maxim Gaudette et Alexis Martin dans les deux rôles principaux. Au Théâtre Denise-Pelletier à partir du 9 novembre.

Il faut préciser tout de suite que la pièce, mise en scène par Édith Patenaude, a été présentée en primeur au Théâtre du Trident à Québec l’année dernière, en coproduction avec le TDP. Le climat paranoïaque et psychotique du spectacle qui déteint sur l’inconscient collectif s’est mérité les éloges tant de la critique que du public, ce qui s’annonce bien pour Montréal. Le prologue et l’épilogue de la pièce ont changé, mais toute l’équipe est restée la même.

Photo par Gilles G. Lamontagne.

Photo par Gilles G. Lamontagne.

Sors-tu.ca a rencontré le comédien Maxim Gaudette dans la salle de répétition à l’issue d’un enchaînement. C’est lui qui joue le personnage de Winston Smith dans ce monde de peur, autocratique et oppressant, l’Océania, gouverné par le tout-puissant Big Brother. Smith est employé au Ministère de la Vérité pour réécrire l’Histoire afin qu’elle concorde avec les dictats de l’idéologie du parti unique contrôlant absolument tout, même la liberté de penser.

Ministère de la Vérité, Police de la Pensée, Fraternité de résistants, dictature totalitaire, Minutes de la Haine, Société de la Fatigue, novlangue, correspondent au vocabulaire prémonitoire dont Winston Smith osera tenter d’échapper. Le comédien est-il terrorisé par le rôle? « Pas tant que ça, répond Maxim Gaudette. C’est Claude Poissant le premier qui a pensé à moi pour ce rôle, c’est lui qui a parlé de moi à Édith Patenaude, et elle a tout de suite donné son accord. Alors, je me sentais en confiance. Mais, je suis bien conscient qu’il s’agit d’une œuvre majeure. »

 

Un miroir à peine exagéré de notre époque…

L’objectif de départ, une réflexion sur notre monde et la propagande qui influe sur lui, donc sur nous, a vite été atteint.

À Québec, les gens n’en revenaient pas de voir à quel point la pièce est un miroir de ce qui se vit actuellement, un miroir poussé à l’extrême, mais avec tout ça. Maintenant, les allées et venues de chaque individu sont connues en direct. Nos libertés sont contrôlées, épiées, compilées, tout est fiché. C’est ça que je trouve terrifiant!

Maxim Gaudette n’hésite pas à faire un parallèle avec le cas d’Edward Snowden, un ancien agent de la CIA qui, en 2013, a rendu publiques par le biais des médias des informations ultra-sensibles selon lesquelles des programmes de surveillance de masse sont opérés par les services secrets américains et d’autres pays. La collecte de données personnelles via les courriels, les GPS et les satellites, les drones, les codes d’utilisateur et les mots de passe, les caméras de surveillance et les téléphones cellulaires, est devenue monnaie courante.

« Le téléphone intelligent, c’est le meilleur des outils modernes  d’espionnage. Un petit ordinateur de poche où tout est retraçable. En plus, les gens paient pour l’avoir. Moi, j’ai un téléphone intelligent, mais je ne suis pas sur Facebook. Je ne vais pas prendre du temps pour nourrir Facebook de choses personnelles. Je n’aime pas ça, ce n’est pas dans ma nature. Au-delà de la dépendance et de l’obligation à faire plusieurs choses en même temps, le téléphone intelligent a créé une sorte de déficit d’attention généralisé. »

Le concept même de novlangue a de quoi faire frémir : « Big Brother tire les ficelles, et Winston Smith se fait aspirer par le système, continue Maxim. Graduellement, la langue va tellement s’atrophier que le régime n’aura plus besoin de la Police de la Pensée, parce qu’on ne sera plus capable de formuler un crime de la pensée, d’élaborer des stratégies pour se sortir de la manipulation du pouvoir et de l’obligation d’obéir aux ordres. Edward Snowden savait qu’il s’attaquait à une machine beaucoup plus forte que lui, mais il est allé quand même jusqu’à poser le geste de divulguer des informations cachées, pour que tout le monde connaisse la vérité ».

Maxim Gaudette et Alexis-Martin. Photo  par Stéphane Bourgeois.

Maxim Gaudette et Alexis-Martin. Photo par Stéphane Bourgeois.

 

Le regard unique de Maxime Gaudette

Le comédien de 42 ans est sorti du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1997. En presque 20 ans de carrière, il aura eu la chance de travailler beaucoup au théâtre, au cinéma et à la télévision. Dans la série télévisée Virginie, dès 2003 et pendant plusieurs années, il a incarné Pouliot, un adolescent tourmenté au regard troublant. Maxim Gaudette a justement en sa faveur la puissance de son regard unique, qui lui a attiré nombre de personnages équivoques des plus nourrissants.

Est-il conscient du pouvoir de son regard ? « De plus en plus, je dirais. J’ai souvent joué des personnages sombres, très intenses, ce qui est intéressant pour un acteur. Au théâtre, tout passe par le corps et la voix. Mais à la télé et au cinéma, beaucoup de choses passent par les yeux, par un regard franc et direct plutôt que des yeux fuyants. Mes deux sœurs aussi ont un regard perçant. Ça vient des yeux de ma mère… »

Au sortir de la répétition, Édith Patenaude s’est enthousiasmée en disant tout de go qu’elle avait trouvé dans ce regard tout ce qu’elle cherchait pour le rôle. « Maxim a dans les yeux une grande profondeur humaine, une douceur mêlée de tristesse, une lucidité sensible. L’échange d’énergie entre nous deux est très riche. C’est un acteur intelligent, qui s’investit complètement, qui cherche et embarque spontanément dans le questionnement. Il part toujours de ce qu’il ressent, et ça paraît tout de suite dans son regard. »

C’est ce même regard trouble qui lui a mérité en 2009 le Jutra du meilleur acteur de soutien, doublé du prix Genie la même année, pour sa performance saisissante dans le rôle du tueur pour le film Polytechnique de Denis Villeneuve. En 2012, au Gala des Gémeaux, il a reçu le prix d’interprétation pour le rôle qu’il a défendu pendant huit ans dans L’Auberge du chien noir. Et plus récemment, se sont ajoutées une nomination aux Écrans canadiens et une autre au Gala du cinéma québécois pour le film Les êtres chers d’Anne Émond.

Tandis qu’au théâtre, en une trentaine de pièces, il a travaillé avec les plus grands metteurs en scène ici que sont les Brigitte Haentjens, René Richard Cyr, Yves Desgagnés, Alice Ronfard, Serge Denoncourt, François Girard, Denise Filiatrault, Claude Poissant, et d’autres.

Quel rôle aura été le plus marquant pour lui ? « C’est le rôle du tueur dans Polytechnique, lance-t-il sans la moindre hésitation. J’ai eu peur d’être identifié à lui, de rester associé à ce rôle, parce que l’histoire du film est vraie et que beaucoup de monde qui ont vécu cette tragédie de près ou de loin sont encore vivants. »

Héritage à laisser

À la question à savoir ce qu’il aimerait laisser à ses deux enfants de 9 et 10 ans, Maxim prend un long temps de réflexion avant de répondre.

Mon plus grand désir serait de toujours être là pour mes enfants. Je leur enseigne à développer un esprit critique et d’analyse de la société, une autonomie de pensée pour avancer dans la vie, et être capables d’introspection pour savoir qui ils sont vraiment et pour s’améliorer. Je leur enseigne à s’aimer. Et, curieusement, ça me fait grandir aussi, parce que mes enfants m’en apprennent constamment sur moi-même.

En mars 2017, au Théâtre Prospero, il jouera aux côtés d’Évelyne de la Chenelière, Marie-France Lambert et Pascale Montpetit, entre autres, dans la pièce d’Ödön von Horvath Don Juan revient de la guerre, mise en scène par Florent Siaud, lequel fait de plus en plus sa marque sur nos scènes. C’est Maxim qui incarnera Don Juan, non pas le noble de Séville imaginé par Tirso de Molina, mais un Don Juan dont le mythe s’effondre devant l’affirmation des femmes des soldats disparus avec la Première Guerre mondiale, dans le Berlin des années 1920.

« C’est une pièce que j’aime beaucoup, par un auteur que je ne connaissais pas. Don Juan débarque là affecté psychologiquement et physiquement. Le personnage, hors du mythe, a beaucoup de profondeur. On a déjà fait un atelier de recherches et de discussions autour de la pièce, et vraiment, ça s’annonce très bien. »

Sinon, pas de théâtre annoncé pour lui la saison prochaine, pas de cinéma à l’horizon, et une fin à L’Auberge. « En général, je suis assez confiant, mais quand même inquiet devant ce qui s’en vient pour moi. Le travail d’un comédien est précaire, ça joue serré et on est dans l’instantané, il faut que tout se passe sur le fait. Parfois, je me sens comme si ce n’était pas suffisant d’être simplement un interprète. Je n’écris pas, je ne fais pas de mise en scène, je ne fais pas de doublage. Mais, je ne veux pas faire de mise en scène juste pour faire de la mise en scène. Il faudra que ça se présente, que quelque chose m’appelle à le faire, qu’une œuvre vienne me chercher. Il faut faire confiance… », conclue Maxim Gaudette avec ce regard trouble qui fait son charme au naturel et auquel seul aura résisté Big Brother.


* 1984 est présenté du 9 novembre au 16 décembre 2016 au Théâtre Denise-Pelletier à Montréal. Détails et billets par ici.

 

Vos commentaires