Novecento

Saison 2016-2017 du TNM | Une saison faste du 65e sans Rita Lafontaine

Lorraine Pintal, directrice artistique et générale du Théâtre du Nouveau Monde, n’a pu retenir ses sanglots en évoquant la mort trop abrupte de Rita Lafontaine qui devait jouer en ses murs la saison prochaine. «André Brassard, comme pour Rita, m’a beaucoup engagée quand je suis sortie du Conservatoire. Le première qui m’a pris la main et m’a guidée, avec bonté et gentillesse, ç’a été Rita Lafontaine. Elle m’a enseigné beaucoup de choses. C’était une comédienne d’exception», a déclaré Lorraine Pintal après l’annonce de la programmation des plus aguichantes qu’elle a préparée pour la saison 16-17 du TNM, celle du 65e anniversaire de ce théâtre phare qui rayonne sur tout le Québec.

Rita Lafontaine devait jouer en novembre dans une création de Christian Bégin, Pourquoi tu pleures…? C’est l’histoire bien contemporaine d’une famille dysfonctionnelle, exposée avec un réalisme à vif, où Rita Lafontaine devait incarner la mère, mariée à Pierre Curzi qui fait un retour au TNM. Isabelle Vincent est aussi de la distribution, avec Christian Bégin, Pier Paquette et Marie Charlebois qui signera la mise en scène. La remplaçante de Rita Lafontaine sera annoncée ultérieurement.

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Photo par Gilles G. Lamontagne

Juste avant, la saison s’ouvrira le 27 septembre avec une nouvelle lecture du célèbre Tartuffe de Molière par le rigoureux tandem à succès Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Seulement un deuxième Molière donc, pour le metteur en scène qui a travaillé récemment à la Comédie-Française à Paris. Tartuffe fera suite pour le tandem à leurs brillantes Femmes savantes transposées dans les années cinquante. Benoît Brière composera le père qui se croit parfait, aux côtés d’Anne-Marie Cadieux par qui la catastrophe arrive ou n’arrive pas, alors qu’Emmanuel Schwartz (qui vient de livrer un Pozzo absolument mémorable dans la récente production d’En attendant Godot) prendra, lui, les traits de l’imposteur. Pour ce portrait d’une société dominée par le pouvoir et la religion, Denis Marleau dirigera une distribution de 13 comédiens, qui comprend Carl Béchard à qui il est resté fidèle depuis les débuts de UBU compagnie de création, Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau et même la grande Monique Miller.

En janvier 17, Lorraine Pintal revient à la mise en scène avec un Brecht peu souvent joué, La Bonne Âme du Se-Tchouan, sur un texte de Normand Canac-Marquis, et une musique originale de Philippe Brault qui jouera aussi dans la pièce de ce chantre des plus démunis, pourfendeur des injustices sociales, qu’a été le dramaturge allemand. «Brecht, c’est un mentor, un géant!», dit d’emblée Lorraine Pintal. Une forte distribution de 16 comédiens, avec Isabelle Blais en Shen Té, une prostituée dont la bonté se retourne contre elle, Émile Proulx-Cloutier en aviateur amoureux, et parmi les autres, Louise Forestier (un choix audacieux), France Castel (audacieux aussi), Jean Maheux, Jean Marchand et non la moindre, Marie Tifo. La production est marquée également par un retour de la scénographe Danièle Lévesque avec Lorraine Pintal qui ensemble ont déjà fait des merveilles.

La pièce se passe dans une Chine imaginaire, entre la fable et le drame, mais aussi avec humour et plusieurs chansons, ce qui explique le choix de comédiens qui chantent. «C’est presque une création, précise Lorraine Pintal, car on a adapté beaucoup. Je situe la pièce dans un cabaret allemand, et ce sont les comédiens du cabaret qui jouent la parabole de Brecht, comme dans un opéra. Chez Brecht, ce sont surtout les personnages féminins qui m’intéressent, comme Mère Courage, ou encore Groucha dans Le Cercle de craie caucasien. Dans La Bonne âme…, c’est un rôle de femme extraordinaire, un rôle double pour Isabelle Blais qui se déguisera en homme chinois, afin d’avoir du pouvoir et se sortir de la corruption du monde. Je suis allée à Paris il y a trois ans, et j’en ai vu une production à l’Odéon, en me disant quelle bonne pièce, je veux la monter!»

«Moi, dit Marie Tifo, je joue la veuve, une intrigante. À la première lecture, ça m’a un peu fait peur. Mais quand ça me fait peur, ça m’attire en même temps. Avec Brecht, on est dans la représentation théâtrale, tu joues pas le naturalisme, tu joues un stéréotype, et ça, pour un acteur, c’est très intéressant. Ce sera une grande aventure», dit celle qui a à son actif au moins une centaine de pièces de théâtre, mais qui ajoute paradoxalement que «le théâtre, c’est dur, tu te mets en danger, alors il faut que le texte te parle, que ça insufle quelque chose qui t’amène plus loin en tant qu’acteur». En comédienne accomplie qu’elle est, Marie Tifo hésite entre 10 ou 12 quand on lui demande le nombre de pièces dans lesquelles elle a joué sous la direction de Lorraine Pintal? «C’est sûr que Lorraine et moi, quand on répète, je comprends vite ce qu’elle veut», ajoute-t-elle en évoquant la toute première fois, soit le magistral Ha! Ha! de Réjean Ducharme.

En février, le TNM reçoit pour 11 soirs seulement le grand comédien français André Dussollier, avec la pièce Novecento, de l’auteur italien Alessandro Baricco qui donne la part belle au plus grand pianiste du monde. L’intrigue se passe sur un transatlantique de luxe où l’on peut s’attendre à tout. Le virtuose du piano n’a jamais foulé la terre ferme, étant né en mer et y ayant toujours travaillé. Un quatuor de jazz accompagnera Dussollier sur scène.

Mi-mars verra l’aboutissement d’un grand rêve d’acteur, en l’occurrence Benoît McGinnis qui veut depuis toujours jouer le rôle-titre du Caligula d’Albert Camus, et qui n’a pas eu trop de difficulté à convaincre René Richard Cyr de monter la pièce. À quoi me sert d’avoir du pouvoir si je ne peux pas faire en sorte que le soleil se lève à l’ouest? dira à quelques mots près, le tyran en même temps que héros romantique, dans cette pièce écrite par un Camus âgé d’à peine 25 ans, et rêvant encore d’absolu. «J’ai toujours été touché par ce personnage, cette humanité dans son effroyable tyrannie, son existentialisme, même si Camus ne voulait pas se définir comme ça, dira René Richard Cyr. C’est quelque chose qui me touche, que j’ai envie de dire, et qui peut encore trouver un écho chez le public.»

Lui qui a déjà monté un autre Camus au TNM en 1992, Le Malentendu (où s’était illustré Robert Lalonde), ajoute : «On a déjà commencé à plonger là-dedans. Je fais le travail dramaturgique d’aller chercher dans les différentes versions existantes de l’œuvre les parties qui pourraient s’intégrer à notre version à nous. Mais, je ne veux pas avoir trop de pré-conçu, le travail n’est pas encore fait, le show est seulement dans un an et demi.» Chantal Baril, Jean-Pierre Chartrand (heureux retour), Macha Limonchik et Vincent-Guillaume Otis sont de la distribution.

Photo par Gilles G. Lamontagne

Photo par Gilles G. Lamontagne

Enfin, au printemps 17, le TNM présentera un auteur qui s’est fait rare sur cette scène, c’est-à-dire Marivaux, avec Le Jeu de l’amour et du hasard, monté par Alain Zouvi qui a évoqué dans sa présentation le souvenir de son père, Jacques Zouvi, jouant le rôle d’Arlequin. L’histoire d’un grand amoureux donc, avec désir et sensualité, mais aussi humour, qui sera confiée à une distribution relevée comprenant Marc Beaupré, Henri Chassé, Bénédicte Décary, David Savard, Philippe Thibault-Denis et Catherine Trudeau.

«Je jouerai Mario, dit Philippe Thibault-Denis, une espèce de dandy qui se contente d’assister au double échange de rôle, donc de classe sociale, entre la maîtresse et la suivante, pour voir comment vont se comporter leurs promis. Lui, fait la même chose avec son valet, Arlequin. Finalement, en ne disant rien, Mario s’amuse aux dépens de tout le monde. C’est une belle comédie, bien ficelée.»

Le même Philippe Thibault-Denis, avec deux présences sur la scène du TNM la saison prochaine, aura joué au préalable le rôle-titre dans la super-coproduction estivale de Juste pour rire, Roméo et Juliette de Shakespeare, dans un texte français de Normand Chaurette (qui a admirablement traduit déjà plusieurs Shakespeare), et une mise en scène de Serge Denoncourt, qui n’a peur de rien. Un gros bateau, avec 20 comédiens à bord, dont Mariane Fortier qui jouera Juliette, entourée entre autres par Jean-François Casabonne, Debbie Lynch-White (qui s’est fait connaître avec la série télé Unité 9),  Benoît McGinnis (un doublé au TNM pour lui aussi), Jean-François Pichette et Catherine Proulx-Lemay.

Depuis sa sortie du Conservatoire en 2012, Philippe Thibault-Denis qui n’a que 26 ans, et qui dit ne pas connaître le trac, a un parcours des plus enviables pour un jeune comédien. Conscient de sa chance, il dira : «Je me croise les doigts. J’ai eu de très beaux rôles jusqu’à maintenant, dont celui de Roméo qui s’en vient. Ce sera ma quatrième collaboration avec Serge Denoncourt. Comme il sait que j’ai l’énergie d’un batailleur, il a pensé à moi pour jouer D’Artagnan dans Les trois mousquetaires ici l’an passé. Ce sont des projets vraiment le fun!» conclue-t-il en ajoutant qu’il jouera aussi l’an prochain dans Les Assoiffés de Wajdi Mouawad au Théâtre Denise-Pelletier.

Le TNM célébrera ses 65 ans le 9 octobre, et il fallait marquer le coup avec une saison aux œuvres fortes et aux distributions imposantes, ce que les théâtres peuvent de moins en moins se permettre. Le projet d’agrandissement des bureaux du théâtre et l’ajout d’une deuxième salle, un rêve que caresse Lorraine Pintal depuis nombre d’années, vient d’être relancé avec l’arrivée d’un nouveau ministre de la Culture. Souhaitons que le ministre Luc Fortin traitera le dossier avec diligence. Le TNM mérite aussi un statut de théâtre national, comme c’est le cas en Europe. 65 ans à présenter «les classiques d’hier et de demain», c’est une rareté, en même temps qu’un patrimoine artistique fabuleux!

 

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