crédit photo: Nadia Davoli
PJ Harvey

PJ Harvey à la Place Bell | Ma magnifique « Night with PJ Harvey »

Les tournées de PJ Harvey se font rares. La dernière fois qu’elle s’est produite à Montréal, c’était en 2017, au Métropolis, dans un spectacle décrit par Sors-tu? comme « sans faille » et marquant son retour en tête d’affiche après près de 20 ans d’absence dans une salle montréalaise. Autant dire que ses visites sont aussi rares que le passage d’une comète. Et, tout comme ce corps céleste majestueux, chacune des apparitions de Polly Jean Harvey est inoubliable – à condition, bien sûr, de savoir les apprécier pleinement.

Pour apprécier pleinement la richesse artistique de PJ Harvey, il faut se sortir la tête de ses succès commerciaux des années 90. Sa révolte féministe, empreinte de punk-blues et portée par une guitare écorchée a progressivement évolué vers des œuvres politiques, teintées de sonorités folkloriques comme Let England Shake (2011) et The Hope Six Demolition Project (2016). Cette évolution nous mène aujourd’hui à son dernier opus, I Inside the Old Year Dying, paru en 2023.

Et c’est là que réside le véritable privilège : celui d’entretenir une relation de plus de 30 ans avec une artiste en perpétuelle transformation, et de pouvoir écouter un album plus expérimental, poétique, presque médiéval, tout en comprenant qu’il plonge ses racines dans des décennies de révolte et de revendications. C’est exactement le cadeau que la comète Harvey nous a offert hier.

Première partie | I Inside the Old Year Dying

Les 45 premières minutes du concert ont été consacrées à I Inside the Old Year Dying, interprété sur scène dans son intégralité comme une véritable séance d’écoute collective.

Cet album puise son inspiration dans le recueil de poèmes Orlam de PJ Harvey, publié en 2022 après six années d’écriture. Ce poème narratif, rédigé en dialecte du Dorset (région du West Country, en Angleterre) raconte la transition de l’enfance à l’âge adulte à travers les yeux d’une fillette de neuf ans. Orlam a profondément influencé la direction artistique de l’album, où Harvey marie des sonorités folk, expérimentales et parfois médiévales, tout en capturant la richesse poétique de son univers littéraire.

Soyons honnêtes, une œuvre aussi intime exige une atmosphère qu’une aréna peine à offrir. Néanmoins, la scénographie de Ian Rickson a remarquablement servi cette quête d’intimité : des chaises, des tables, des pupitres et des bancs en bois étaient disposés sur scène, créant l’illusion d’un lieu chargé d’histoire, au cœur de la campagne anglaise. Du moins, c’était une agréable illusion pour les spectateurs des premières rangées.

Contre toute attente, l’attention du public était exceptionnelle. Il faut dire que l’auteure-compositrice, poétesse et actrice à ses heures a su habilement capter l’audience grâce à un jeu théâtral maîtrisé. Utilisant pleinement les accessoires et occupant différents espaces de la scène à chaque morceau, elle enrichissait la performance musicale de mouvements de danse contemporaine. Pour une œuvre aussi dense et subtile, la qualité sonore était un vrai bonheur, offrant une expérience d’écoute à la hauteur de la richesse de l’album.

Quelques moments forts de cette première partie se sont distingués, notamment durant The Nether-Edge, lorsque PJ Harvey, assise sur un banc de bois, fut enveloppée par un faisceau lumineux divin. Un autre moment marquant fut lorsqu’elle a saisi sa guitare électrique pour interpréter A Child’s Question, August. Dans un folk brut et puissant, elle nous a offert un hymne à la bienveillance, porté par un refrain saisissant : « Love me tender, tender love », était chanté en chœur par les quatre musiciens qui l’accompagnaient. Ce groupe de musiciens aguerris, ayant roulé leur bosse, a plusieurs fois ému le public par le chœur, notamment sur I Inside the Old I Dying.

On a également nettement préféré la version live de A Child’s Question, July à celle de l’album. Le phrasé de PJ Harvey y était beaucoup plus intense et chargé d’émotion, presque liturgique, avec des modulations vocales évoquant les chants arabes.

La première partie s’est conclue sur A Noiseless Noise, une transition parfaite vers la deuxième partie, qui proposait une rétrospective des moments forts des 30 dernières années. Cette section était marquée par une batterie incisive, une guitare stridente et un violon grinçant, donnant un élan énergique et percutant.

Deuxième partie | Rétrospective d’une riche discographie

Alors que PJ Harvey s’était éclipsée en coulisses pour revenir dans une élégante et longue robe blanche, la deuxième partie du concert a débuté avec une interprétation de The Colour of the Earth, tirée de l’excellent album Let England Shake, jouée uniquement par le groupe. Plutôt que d’offrir une version acoustique, les quatre musiciens se sont alignés sur scène pour également chanter en chœur, offrant une émouvante prestation.

Parlons justement de ce groupe exceptionnel de musiciens. John Parish, complice de longue date de PJ Harvey, a alterné entre claviers, chant et guitare. À l’exception de son duo avec Harvey lors de Autumn Term dans la première partie, il est resté plutôt discret, occupant un espace en retrait, à tel point qu’on aurait pu croire qu’il aurait préféré jouer depuis les coulisses. Giovanni Ferrario, tout comme son collègue James Johnston, a alterné entre claviers, guitare et basse, bien que Johnston se soit particulièrement distingué au violon. Jean-Marc Butty, quant à lui, a été solide à la batterie tout au long de la performance.

La deuxième partie a continué avec deux autres morceaux de l’album Let England Shake : The Glorious Land et The Words That Maketh Murder ont été magnifiquement rendus sur scène.

Bien que la qualité d’interprétation soit restée solide et inspirée, et que le concert ait progressivement gagné en rythme en replongeant dans les années rock garage de Polly Jean, il a fallu attendre Dress, presque à la fin du spectacle, pour que le parterre manifeste enfin une émotion autre que les quelques « ouh ouh » entendus entre chaque titre. C’est à se demander si la qualité d’écoute exceptionnelle de la première partie n’était pas en fait l’ennui de spectateurs ne s’étant déplacés que pour la nostalgie des années 90. Pourtant, les applaudissements étaient forts et chaleureux, tout au long du spectacle.

Enfin. Si un reproche doit être fait à ce spectacle, il ne concernerait ni PJ Harvey, ni ses musiciens, ni même la qualité sonore ou la scénographie, toutes impeccables. Il ne concernerait même pas la Place Bell, certes peu adaptée à ce genre d’événement. Non. Le vrai bémol de la soirée, c’était le manque d’enthousiasme apparent de beaucoup  de compagnons de parterre, apparemment figés dans la nostalgie en attendant le rappel. Ce petit quelque chose qui rend une excellence soirée, une soirée magique. Amical conseil: si vous cherchez un concert figé dans le temps, allez voir Billy Idol, il excelle dans ce domaine.

Mais comme il y a toujours deux côtés à la médaille. Je dois dire que d’avoir osé rester debout très près de la scène, presque seule face à un parterre assis et immobile m’a permis de ressentir une proximité inégalée avec une artiste que je suis et admire depuis 30 ans. La vue était imprenable. La qualité sonore étant exceptionnelle, ma camarade de concert et moi avons eu l’impression qu’elle jouait rien que pour nous, exactement comme le suggérait le titre de cette tournée, A Night with PJ Harvey. Et pour cela, je remercie finalement toutes ces personnes qui sont restées assises jusqu’à « leurs » chansons : Down by the Water et To Bring You My Love, jouées à la toute fin.

Espérons tout de même que, lors de sa prochaine venue, PJ Harvey choisira une salle plus appropriée à son talent.

Grille de chansons

Première partie | I Inside The Old Year Dying

  1. Prayer at the Gate
  2. Autumn Term
  3. Lwonesome Tonight
  4. Seem an I
  5. The Nether-Edge
  6. I Inside the Old Year Dying
  7. All Souls
  8. A Child’s Question, August
  9. I Inside the Old I Dying
  10. August
  11. A Child’s Question, July
  12. A Noiseless Noise

Deuxième partie

  1. The Colour of the Earth
  2. The Glorious Land
  3. The Words That Maketh Murder
  4. Angelene
  5. Send His Love to Me
  6. The Garden
  7. The Desperate Kingdom of Love
  8. Man-Size
  9. Dress
  10. Down by the Water
  11. To Bring You My Love

Rappel

  1. C’mon Billy
  2. White Chalk

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