Les étés souterrains à La Licorne | Guylaine Tremblay sous les projecteurs
Après deux semaines au Théâtre de la Bordée de Québec, la production Les étés souterrains s’installe à Montréal pour trois semaines dans la grande salle de La Licorne. Ce monologue, imaginé par Steve Gagnon, a été pensé sur mesure pour Guylaine Tremblay. Celle-ci, seule en scène, défend ce texte chargé mais bien dosé d’humour noir, et ce personnage de femme dont la vie sera bientôt bouleversée par la maladie.
La parole à l’honneur
Tous les étés depuis 15 ans, cette femme (dont on ne connait pas le nom) passe ses étés dans un village en Provence, au sud de la France. Elle a une fille, enseigne au cégep ou au secondaire et n’est pas mariée.
C’est à peu près tout ce qu’on a de factuel sur elle, mais ce qui devient rapidement intéressant, c’est ce qu’elle a à dire. Elle se prononce sur tous les sujets chauds : féminisme, sexualité, éducation, maternité, machisme, sur le passé, le présent, le futur, sur les qualités et défauts des uns et des autres, non sans heurter quelques sensibilités au passage. Elle utilise la parole comme arme de construction passive.
Toujours avec les codes du monologues, l’auteur Steve Gagnon arrive tout de même à bâtir les personnages qui entoure cette femme avec des dialogues fantômes, des trous de mots dont nous sommes le héros. Dans les bribes de ces derniers étés d’autonomie et de pleine capacité physique, nous nous attachons à cette soixantenaire consciemment condescendante, splendide dans ces contradictions, et que nous verrons décliner doucement entre chaque scène.
En effet, à mesure que le texte verbeux de Gagnon défile, il est entrecoupé d’images saccadées qui prennent d’assaut la scène au ralenti. Appuyés des éclairages et de la musique sombre, nous entrons dans la dimension de la dégénérescence du corps et de l’esprit, où la souffrance exprimée est physiquement difficile à supporter. Dès le début de la pièce, cette dégénérescence sera exprimée par les oranges épluchées, dont les lambeaux de peau tombent au sol. On comprend que cette femme aura un diagnostic d’un trouble s’apparentant au Parkinson, une perte de mobilité et de sa précieuse parole.
Efficacité bouleversante
Tout est efficace : de la mise en scène à la scénographie, en passant par les choix de l’interprète et sa grande virtuosité, tout sert magnifiquement le propos.
Les mots de l’auteur sont mis en lumière et nous arrive sur un plateau, avec toutes la brochette d’émotions qu’ils impliquent. C’est étrangement lumineux malgré la lourdeur de ce qui attend la protagoniste. Toute la vie de cette femme est racontée à travers des histoires qui semble nous traverser mais qui au fond nous habite tous.
« Être fragile, je sais pas comment faire », déclare-t-elle alors qu’elle annonce son état de santé à ses amis. Une chose est sûre, Guylaine Tremblay, elle, sait comment être fragile et vulnérable, forte et orgueilleuse pour cette performance complètement hallucinante qu’elle offre durant 1h40.
Quelques projections vidéos lui permettent de souffler un peu et offre une perspective plus intime et tout en confidences des dernières pensées de cette femme qui « craint l’intimité du coeur », comme elle dit. Les étés souterrains, une ode à l’indépendance, à la vie, un moment fort de théâtre qui ouvre la saison en grand.
Ironiquement, cette pièce n’avait pas pu être présentée en 2020 à cause d’une certaine « maladie », et une captation vidéo de la pièce est toujours disponible sur le site de Télé-Québec. Mais n’oubliez pas que rien de vaut l’art vivant!
Du 5 au 23 septembre 2023 à La Licorne. Production de la Manufacture – Texte de Steve Gagnon – Mise en scène Edith Patenaude – Avec Guylaine Tremblay
- Artiste(s)
- Guylaine Tremblay, Les étés souterrains
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- La Licorne
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