Cult of Luna au Théâtre Corona | Froid hivernal, version métal
Le groupe de post-métal Cult of Luna était au théâtre Corona pour nous livrer sur scène des extraits de son plus récent album A Dawn to Fear. Ça bûche, lentement. C’est parfait pour offrir un exutoire à la déprime d’un hiver qui, comme s’il ne traînait déjà pas assez comme ça, est prolongé d’un bissexte.
Porte-étendards du post-métal
Sur une lancée de trois albums consécutifs presque parfaits depuis 2013 (Vertikal, Mariner en 2016 puis A Dawn to Fear en 2019), la formation suédoise s’est hissée tout en haut du panthéon de la scène post-métal. La réputation enviable de Cult of Luna s’est construite sur sa capacité à doser et à bien articuler les différents niveaux d’intensité. Le groupe sait refléter nos montagnes russes intérieures, souterraines et ralenties par la gadoue de la vie hivernale. Ces qualités, déjà évidentes sur disque, sont décuplées sur scène.
Cult of Luna maîtrise à merveille les passages instrumentaux plus calmes qui viennent s’insérer dans leurs chansons. Ces moments trouvent si bien leur place, ils sont amenés et relâchés avec subtilité dans le cadre de voyages qui nous plongent dans les profondeurs de nos tourments intérieurs. On se demande alors pourquoi certains morceaux vaporeux, moins intéressants parce que flirtant de trop près avec le périlleux territoire du pastiche générique de musique sous-marine d’une décennie perdue, font partie de la soirée.
Une savante progression des pièces
Or, même si elles mettent en évidence les faiblesses du groupe lorsqu’il est question de jouer de façon plus retenue, ces chansons s’avèrent essentielles sur scène : And With Her Came the Birds permet de reprendre son souffle entre un premier 45 minutes gonflé à bloc, initié par The Silent Man et se terminant de façon magistrale avec I :The Weapon et le bloc suivant, qui s’ouvre sur Lights on the Hill, pièce d’un quart d’heure.
Plus tard, c’est Passing Through qui offre le moment calme avant la tempête finale de l’épique The Fall. Les deux pièces chantées par le guitariste Fredrik Kihlberg deviennent des haltes sur le chemin, des clés ouvrant les portes vers celles à grand déploiement, plus complexes. Nous admirons cette formule spécifique au post-métal, qui incite le groupe à présenter sur scène certaines de ses pièces les plus faibles pour assurer l’équilibre de l’ensemble du spectacle, l’amenant du coup à se montrer dans toute sa vulnérabilité en marchant pendant plusieurs minutes sur un fil assez mince.
Le duo à la batterie, parfois à l’unisson, parfois en complémentarité, assure une fondation encore plus puissante au quintette de tête (3 guitares, guitare basse, synthétiseurs/orgue). Vu le nombre de musiciens sur scène et les multiples cohabitations dans le spectre fréquentiel, la qualité impeccable de la sonorisation mérite d’être soulignée. On retient aussi la prestation de In Awe Of, qui vient un peu bousculer les choses en mettant davantage de l’avant la basse saturée et les riches effets de synthétiseurs analogiques.
Petites ombres au tableau
Bien que ceci s’explique sans doute par le recours à deux batteries, on pourrait toutefois reprocher au groupe un abus de l’usage des cymbales, qui soulignent à trop gros traits des transitions qui resteraient intelligibles sans leur apport, tout en surchargeant un spectre sonore déjà dense, saturé et parfaitement équilibré.
Aussi, on ne peut passer sous silence l’absence d’œuvres de l’avant-dernier album, leur plus réussi, Mariner. Bien sûr, on comprend qu’il s’agissait là d’une collaboration éphémère avec la chanteuse Julie Christmas, mais il est décevant de réaliser que ce brillant album ait disparu si rapidement du répertoire, d’autant que nous n’avons pas affaire à un groupe qui se borne à jouer seulement les titres de son plus récent album. Certains passages de cet opus présenteraient sans doute des tremplins plus intéressants vers les pièces d’artillerie lourde.
Si, dans certains contextes, on peut reprocher le manque de communication des musiciens avec leurs spectateurs, force est de reconnaître que le voyageur intérieur que prescrit la musique du groupe s’apprête peu aux bonjours forcés et autres flagorneries visant à mettre le public dans sa poche. Ainsi, on ne peut reprocher aux sept musiciens d’entrer dans le vif du sujet dès leur arrivée sur scène, puis de continuer à ronger la viande autour de l’os jusqu’à la toute dernière note sans jamais dire un traitre mot.
Le public répond de la même façon : remerciant le groupe par peu d’applaudissements, préférant plutôt lui offrir une écoute totale, plongeant même le Corona dans un délicieux silence absolu durant les quelques pauses qui viennent ponctuer les pièces. Un autre code de la scène post-métal, s’il en est, qui vaut la peine d’être souligné. Même s’il fait du bien et qu’il frôle la perfection, le voyage auquel nous convie Cult of Luna n’en est pas moins exigeant. Le groupe en est conscient. D’ailleurs, ni le public ni le groupe ne réclameront un rappel.
Moment de thérapie hivernale
Mention spéciale à la talentueuse Emme Ruth Rundle qui a précédé la formation suédoise. Seule sur scène avec sa guitare électrique, l’assurance dont elle fait preuve en s’exposant dans toute sa vulnérabilité est remarquable et émouvante.
On reconnaît dans les paysages sonores de Cult of Luna la nordicité, celle d’une forêt au début de l’hiver qui souffre de ne voir que très peu de lumière, celle du retour vers l’intérieur. Le public est plongé à la fois dans un recueillement et dans un exutoire. Cult of Luna mérite une note presque parfaite pour son passage à point nommé, au beau milieu de la saison, alors qu’on avait bien besoin de leur puissante thérapie sonore au beau milieu d’un hiver moche à force de sloche.
Cult of Luna, avec son excellent spectacle, a su offrir au public présent au Corona hier soir un précieux cadeau : une opportunité de saisir à bras le corps la déprime saisonnière, offrant un nouveau souffle pour nous rendre jusqu’au bout.
- Artiste(s)
- Cult of Luna, Emma Ruth Rundle
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Corona
- Catégorie(s)
- Post-rock,
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